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DURKHEIM.la morale en allemagne

vation des faits, cependant ils n’en résultent pas et ne peuvent être dus qu’à la spéculation. Seulement la spéculation, telle que l’entend M. Wundt, ne consiste pas dans une sorte de révélation de vérités transcendantes ; elle ne s’oppose pas à l’observation, mais la complète. Tant que pour expliquer les choses nous disposons de concepts que l’abstraction et l’induction ont directement dérivés de l’expérience, l’observation règne sans rivale. La spéculation ne commence que là où ces sortes des conceptions font défaut et où l’esprit, sous l’influence de ce besoin d’unité qui est la loi même de la pensée, crée des concepts hypothétiques pour rendre l’expérience intelligible. Aussi définie, la méthode spéculative n’est pas une discipline exclusivement philosophique, mais il n’est pas une science positive qui puisse s’en passer.

La méthode marque les divisions naturelles de la science. Il faudra d’abord chercher par les faits comment s’est constitué notre morale actuelle ; puis la ramener à ses principes généraux ; enfin il y aura lieu de se demander comment ces principes doivent s’appliquer dans les différents domaines de la vie morale. Cependant, à ces trois parties, M. Wundt en ajoute une quatrième. Pour passer des faits aux principes, une sorte de préparation lui paraît nécessaire. Il y a lieu de craindre, en effet, qu’en s’appliquant à une masse aussi énorme de faits, la réflexion scientifique ne se trouve débordée et ne les simplifie artificiellement. Pour obtenir une synthèse plus compréhensive, le meilleur moyen est de procéder à une étude comparée des différentes morales qui se sont succédé dans l’histoire depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. D’ailleurs les doctrines des moralistes sont des événements dans la formation des idées morales. C’est ainsi qu’un examen critique des principaux systèmes forme la seconde partie du livre[1].

Ce n’est pas la psychologie qui peut nous apprendre comment les idées morales se forment et se développent ; car elle n’en sait rien. Si la morale est un fait psychique à sa base, elle est un fait social à son sommet. Sans doute elle plonge ses racines dans le cœur de l’individu ; mais, pour arriver à les découvrir, il faut observer d’abord les rameaux les plus élevés, en suivre toutes les sinuosités, chercher à quel point et comment ils se sont détachés de la tige, puis redescendre lentement celle-ci jusqu’à ce qu’on finisse par trouver le tronc nu et simple d’où est sortie toute cette végétation. Procéder autrement, se contenter de la seule observation psychologique, ce serait fermer volontairement les yeux sur ce que la morale a de

  1. Nous ne parlerons que très peu de cette seconde partie, ainsi que de la quatrième.