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Il faut donc en morale comme ailleurs commencer par observer. Mais comme les faits qui sollicitent ici l’observateur sont innombrables, la méthode empirique a suivi des directions très opposées, suivant qu’elle s’est attachée de préférence à telle ou telle espèce de phénomènes, et il en est résulté autant d’éthiques différentes qu’il y a d’aspects divers dans les faits moraux. Tel moraliste par exemple fait consister toute la morale dans les motifs qui déterminent notre volonté, dans la nature de nos intentions. D’autres, au contraire, ont étudié plutôt l’action dans ses conséquences objectives, et alors ils ont appliqué leur réflexion à des matériaux qu’ils ont empruntés tantôt au droit positif, tantôt à l’économie politique, tantôt encore à l’histoire des civilisations. Il s’est ainsi formé une morale juridique, une morale économique, une morale anthropologique, etc. M. Wundt se propose de réagir contre cette tendance dispersive qui émiette la morale en une infinité de sciences distinctes qui s’ignorent les unes les autres ; de montrer le lien de toutes ces études particulières ; de restituer enfin l’unité de l’activité pratique que cette extrême spécialisation oublie et compromet. Il ne se dissimule pas les difficultés d’une telle entreprise et reconnaît d’avance qu’elle sera nécessairement imparfaite : mais il croit utile de la tenter.

Il pousse même l’éclectisme plus loin : il voudrait réconcilier non seulement les diverses directions de la méthode empirique les unes avec les autres, mais la méthode empirique elle-même avec la méthode spéculative. Sans doute il faut commencer par observer les faits que nous fournit l’expérience ; mais, cela fait, le problème moral n’est pas tout entier résolu. Car l’objet de l’éthique est avant tout d’établir des principes généraux dont les faits moraux ne soient que des applications particulières. Les empiristes croient, il est vrai, trouver ces principes dans certains phénomènes psychologiques ; mais alors il faut s’en tenir à une morale toute subjective. Or il est bien peu vraisemblable que le monde si complexe de la morale comporte une explication si simple. Sans doute on n’a pas le droit de décider a priori que l’observation psychologique ne sera pas suffisante, et, tant que nous ne serons pas arrivés à ce moment de la science où cette insuffisance s’accusera d’elle-même et où le besoin d’autres procédés se fera sentir, il faut rester dans une sage réserve et se tenir dans un état de parfaite impartialité. Cependant on peut s’attendre à ce qu’il en soit en morale comme dans les sciences naturelles. Celles-ci aussi viennent aboutir à des axiomes, à des postulats qui ne sont pas des données immédiates de l’expérience, mais y sont ajoutés par l’esprit pour la rendre intelligible. Si donc la découverte de pareils principes doit être préparée par l’obser-