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LA SCIENCE POSITIVE DE LA MORALE EN ALLEMAGNE


(Suite[1]).

III

Les moralistes. M. Wundt.

Tous les savants dont nous avons parlé jusqu’ici n’étaient moralistes que par accident ; aussi n’ont-ils exploré de l’éthique que les régions qui touchaient à leurs sciences spéciales. Mais il était naturel que ce mouvement donnât naissance à une étude d’ensemble de la vie morale. C’est en effet ce que M. Alexander von Oettingen avait entrepris de faire, il y a quelque temps déjà, dans sa Statistique morale[2]. Cet ouvrage contient un grand nombre de faits, d’utiles analyses et de données statistiques ; seulement l’auteur est professeur de théologie à l’université de Dorpat ; aussi, malgré le caractère expérimental de la méthode qu’il pratique, son livre reste-t-il encore trop une œuvre de théologien. C’est cette tentative qui vient d’être reprise par M. Wundt. Son Éthique se présente à nous comme une synthèse de toutes ces vues isolées, de toutes ces études spéciales dont il vient d’être question. Aussi nous y arrêterons-nous plus longtemps.

Sa méthode est nettement empirique. Il n’y a pas de science philosophique, dit-il, où la pure spéculation soit plus inféconde qu’en morale. Car la complexité des faits y est telle que tous les systèmes, construits par la seule raison, semblent bien pauvres et bien frustes quand on les compare avec la réalité. Sans compter que la raison se trompe elle-même, en se croyant l’unique ouvrière de ces brillantes constructions ! Bien loin qu’elle suffise à tout, elle ne peut se suffire à elle-même, et, sans qu’elle s’en aperçoive, c’est à l’expérience qu’elle emprunte tout ce qu’elle croit créer.

  1. Voir le numéro précédent de la Revue.
  2. Die Moralstatistik und die christliche Sittenlehre. Versuch einer social Ethik auf empirischer Grundlage. 2 vol. , Erlangen, 1858-1874.