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loses). Fischer reconnaît volontiers, avec Schelling, que Lessing a fort bien entendu la philosophie comme les autres arts, mais en même temps il affirme, avec Hebler, qu’il a été un penseur fragmentaire et d’occasion, et qu’il n’a pas voulu être autre chose.

Richard Wahl. La monadologie et l’harmonie préétablie du professeur Bilfinger dans leurs rapports avec les doctrines de Leibnitz et de Wolf (2 articles). — Bilfinger, né en 1693, à Cannstadt, introduisit à Tübingue la philosophie de Leibnitz et de Wolf. Ludovici l’appelle le plus marquant des wolfiens ; Lambert dit qu’il a sur beaucoup de points rendu plus de services à la philosophie wolfienne que Wolf lui-même ; Wolf en fait un très grand cas. Ses écrits eurent du succès : l’ouvrage intitulé de Harmonia animi et corporis præstabilita commentatio hypothetica eut trois éditions en fort peu de temps ; les Dilucidationes philosophicæ de Deo, anima humana, mundo et generalibus rerum affectionibus eurent quatre éditions successives ; il en fut fait des abrégés ; ce livre fut traduit et beaucoup lu à l’étranger. Cependant plusieurs des anciennes histoires de la philosophie ne mentionnent pas une seule fois Bilfinger ; d’autres, comme celles de Buhle, d’Eberstein, de Sigwart, le dépeignent sous des couleurs si générales et si peu vivantes qu’on n’a aucune idée ni de lui ni de son œuvre. Les nouveaux historiens ne le traitent pas beaucoup mieux.

On peut montrer l’importance de Bilfinger dans l’histoire de la philosophie en faisant connaître sa monadologie et sa doctrine de l’harmonie préétablie. Selon Bilfinger, les éléments des corps sont des êtres simples, indivisibles, inétendus ; ils n’ont ni figure, ni grandeur, ni forme, ni poids. Les esprits sont aussi des êtres simples, indivisibles, inétendus. Comment dès lors distinguer les corps et les esprits ? Dans la Commentatio hypothetica, Bilfinger affirme que cette distinction est tout interne : pour les monades inférieures, la représentation de la pluralité extérieure est aussi faible que celle de l’homme qui dort sans rêver ; pour les monades unies à un corps organisé, il y a des représentations claires à côté des représentations obscures ; pour les esprits finis, il y a, outre les représentations obscures et claires, des représentations distinctes. Toutes ces représentations se développent d’après un principe interne qu’on pourrait appeler la force (Kraft) et caractériser par l’effort (Trieb), intermédiaire entre la puissance et l’acte. On croit d’abord être en présence d’une reproduction pure et simple des idées de Leibnitz. On se tromperait cependant en l’affirmant. Bilfinger n’accepte ni la loi de l’analogie, ni la loi de la continuité sur lesquelles repose essentiellement la monadologie de Leibnitz ; il établit entre les êtres des différences de nature et non de degré, il rompt la continuité ; il maintient l’hétérogénéité des substances corporelles et des substances spirituelles ; il n’a pas épuisé le riche contenu des pensées de Leibnitz. D’un autre côté, Wolf dit souvent que les pensées de Bilfinger sont tout à fait les siennes, mais il n’en est rien.