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humain. C’est la physiologie dans ses généralités les plus hautes, et en y rattachant la psychologie. Idée juste s’il en fut, ce n’est pas ici qu’on y contredira. Si l’art de l’éducation doit reposer sur des notions positives, ce qu’aucun homme sensé ne peut mettre en doute, ces notions évidemment sont à prendre dans la science de l’homme, et d’abord dans la science de la vie organique, condition et support du développement intellectuel et moral. Ce qui fait que l’auteur se réfère à la médecine plutôt qu’à la biologie générale, au risque de rétrécir et d’affaiblir la base de sa construction, c’est, indépendamment d’habitudes professionnelles qui percent partout, le point de départ qu’il a pris. Comme presque tout le monde, c’est la vue des fautes qui se commettent, c’est la pauvreté des résultats qu’on obtient, qui lui a fait prendre à cœur les questions de pédagogie. L’analyse du mal l’a conduit aux remèdes ; or mal et remèdes ne sont-ils pas affaires de médecine ? Il se trouvait donc sur son terrain familier, les expressions médicales arrivaient naturellement sous sa plume. On se demande parfois s’il n’en est pas un peu dupe, s’il ne prend pas trop au pied de la lettre ce qui n’est, après tout, que des métaphores. Ainsi, son idée maîtresse est l’assimilation absolue de l’instruction, cette alimentation de l’esprit, à la nutrition organique. Il est incroyable combien loin il pousse cette comparaison, excellente d’ailleurs et qui n’est pas neuve, précisément parce qu’elle est très juste.

M. Lœwenthal tire de là, ou peu s’en faut, toutes les lois de la pédagogie, trouve une pour une, littéralement, dans les formules qui résument la théorie de la digestion, toutes les règles de l’éducation intellectuelle. C’est parce que notre système d’instruction (non pas le nôtre précisément, mais celui des pays allemands, qui est soumis là, pour le dire en passant, à la plus vigoureuse critique que j’en aie vue), c’est parce que les systèmes d’instruction partout en honneur violent à plaisir toutes les règles de la nutrition intellectuelle, ne donnent pas à l’esprit (par leurs programmes) les aliments dont il a besoin à chaque âge, mais lui prodiguent ceux dont il n’a que faire, et les lui présentent (par leurs méthodes) sous une forme horriblement indigeste, sans l’assaisonnement qui les rendrait assimilables ; c’est pour cela que l’enseignement n’aboutit si souvent qu’à faire des esprits débiles, engourdis, sans vigueur, ne sachant rien et incapables d’apprendre, dégoûtés à jamais de l’étude. La comparaison est bonne, je le répète, et consacrée, et c’est même, si l’on veut, quelque chose de plus qu’une simple métaphore. N’est ce pas en abuser un peu, cependant, que d’en tirer à la fois une critique complète de l’instruction dans son état actuel et une réforme complète de l’enseignement, programmes et méthodes ? Même à ne considérer que l’intelligence, sa fonction unique n’est pas d’apprendre, c’est-à-dire d’absorber et d’assimiler à propos, en quantité convenable, des aliments de bonne qualité et d’une facile digestion. L’esprit n’est pas comme ces organismes inférieurs qui ne sont presque qu’un tube digestif. Ce n’est pas un simple contenant, c’est un vivant dont la complexité n’a d’égale que l’unité. Son attribut le plus essentiel,