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le monde est une évolution de ce principe, et les phénomènes particuliers sont les ondulations du mouvement général de ce grand fleuve qui coule de l’éternité du passé dans celle du futur. Un seul principe final produit le mouvement dans le monde ; le véhicule du mouvement est la matière, et l’espace est la forme où il se déploie. D’autre part, le méliorisme complète le monisme en nous donnant la qualité de ce principe du monde. L’idéal n’est plus une simple fiction : il est une loi de la nature universelle, et il peut guider notre humanité dans la route du progrès ; car si la nature n’obéit pas à une tendance morale, il ne saurait plus-être question d’avancement, de développement, ou d’évolution. Il est dommage seulement que des mots nouveaux ne suffisent pas à produire des représentations nouvelles. Le principe n’est pas moins difficile à entendre que la cause, et l’idéal n’est pas qualifié plus nettement par le travail que par le bonheur.

M. Carus a voulu faire une application de sa doctrine à l’esthétique.

Qu’est-ce donc que le monisme dans l’art ? Il y signifie la loi de l’unité. L’artiste n’a pas pour tâche de copier un morceau de nature, mais de représenter toute la nature en un morceau. L’objet traité par l’art est un microcosme, et, comme le macrocosme est une unité qui déploie son idée selon un ordre, le microcosme doit annoncer au moins la grandeur du même fait.

Qu’est-ce que le méliorisme dans l’art ? Le héros tragique passe par la crise du pessimisme ; et vainqueur, il prouve, il affirme son idéal. Tel est le sens de la purgation d’Aristote. Le héros ne nie pas sa volonté, ainsi que l’école pessimiste le voudrait ; nos tragédies modèles sont mélioristes, et ne sont pas pessimistes.

M. Carus dit, chemin faisant, d’excellentes choses, et la lecture de son petit écrit sur les principes de l’art ne sera pas sans profit. Mais ces choses excellentes ne sont peut-être pas un fruit particulier de sa philosophie.

Lucien Arréat.

Edgar Saltus. — The anatomy of negation. London, Williams and Norgate, 1886. 226 p. in-8o.

Sous ce titre, l’Anatomie de la négation, M. Saltus nous présente, selon l’expression de sa note préface, « un tableau de l’anti-théisme, de Kapila à Leconte de Lisle ». Il n’entend prouver quoi que ce soit ; mais il expose, d’un ton indifférent et facile, les révoltes de l’Orient et de l’antiquité classique, les convulsions de l’Église chrétienne, les railleries des philosophes et le verdict des poètes. C’est une promenade rapide, intéressante, à travers les grands systèmes religieux et philosophiques, où M. Saltus nous fait rencontrer tous les négateurs des dieux et leur érafle quelquefois la peau d’un coup de plume. Il porte avec aisance une érudition étendue ; il est homme du monde, et sait dire légèrement ce qui a été pensé profondément. Mais ses critiques ont