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variétés

d’un corps représentatif, responsable et renouvelable ; mais l’autorité d’un corps d’origine populaire ne doit pas plus être illimitée que l’autorité d’un monarque, et de même que le vrai libéralisme dans le passé contesta la conception de l’autorité illimitée d’un monarque, de même le vrai libéralisme dans le présent, doit contester celle de l’autorité sans limites du Parlement.

Peu importe la nature et l’origine du pouvoir, il est illibéral s’il restreint la liberté d’un citoyen plus qu’il n’est besoin pour sauvegarder la liberté des autres. Autrement dit, les seules restrictions que le libéralisme soit en droit d’apporter à la liberté sont négatives et non positives : elles ne peuvent avoir pour objet que la défense de la liberté même. Libéraux et radicaux, dès qu’ils se départissent de cette règle, ont beau opposer leur zèle du bien public à l’esprit de caste et à l’égoïsme des torys, ils deviennent torys eux-mêmes, en dépit qu’ils en aient, car ce qui caractérise le torysme, ce n’est pas son inspiration plus ou moins égoïste, c’est sa méthode. Né du militarisme, il a toujours eu pour essence de procéder par voie d’interdiction et de contrainte, au nom de l’État ou des classes supérieures, tandis que le libéralisme, d’origine industrielle, tenait essentiellement pour le régime du contrat, c’est-à-dire de la coopération volontaire, qui suppose l’égalité. Aujourd’hui les rôles s’intervertissent : les libéraux deviennent des torys d’un nouveau genre, plus désintéressés, si l’on veut ; les torys, il est vrai, ne sont pas encore devenus libéraux, mais ils le deviendront par la force des choses, si les libéraux d’hier continuent à fouler aux pieds la liberté, sous prétexte de l’intérêt public.

On le voit, pour M. Spencer, libéralisme est synonyme d’individualisme absolu. Il ne conçoit l’État que comme une institution toute défensive, pour ne pas dire négative ; il n’en attend pas d’autre bien que la sécurité pour les personnes et pour les contrats. N’est-ce pas là, cependant, une vue un peu étroite, contestable tout au moins, et n’était-il pas digne d’un philosophe, qui est un des maîtres de la sociologie, de ne pas simplifier ainsi outre mesure une question notoirement complexe ? Plus nous croyons, en thèse générale, au danger que signale M. Spencer, plus nous regrettons que le désir de frapper fort et de rendre clair à tous son cri d’alarme, l’ait induit à laisser de côté dans cet article des objections qui viendront d’elles-mêmes à l’esprit de tous ses lecteurs. Est-il prouvé, en effet, que la fonction unique de l’État soit la police, et qu’il usurpé nécessairement dès qu’il cherche à faire un peu de bien positif, non content d’empêcher le désordre ? Ne peut-on pas concevoir, au moins, une communauté politique dont les membres demanderaient au gouvernement de leur choix, fût-ce au prix d’un sacrifice d’argent et de liberté de leur part, certaines améliorations dans la condition générale, améliorations dont le gouvernement serait laissé juge, puisqu’il est présumé composé des plus capables et des plus dignes, améliorations qu’il imposerait au besoin à ceux qui manqueraient de lumières ou de désintéressement pour s’y prêter de bonne grâce ? Car enfin, il