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exister, donc le déterminisme est faux. — L’argument ad hominem enfin rentre dans ce genre de raisonnement en ce qu’il montre une contradiction entre les paroles et les actes de l’adversaire, entre ce qu’il exige de nous et ce qu’il a fait lui-même. En mathématiques, on se sert assez souvent de la troisième espèce de raisonnement par l’absurde, de celle à laquelle est réservé le plus souvent le nom de réduction à l’absurde. C’est ce mode de raisonnement qui fait le fond de l’interprétation des valeurs négatives. Les données d’un problème ayant conduit à une solution négative, absurde, comme qu’un mobile en rencontrera un autre dans n heures, on en conclut qu’il faut changer les données et dire que le mobile a rencontré l’autre depuis n heures. — En logique, Aristote s’est servi de ce mode de raisonnement pour démontrer les règles de la conversion des propositions. (Anal. pri., I, 2.) Leibnitz s’en est servi aussi pour démontrer la seconde et la troisième figures du syllogisme par la première (Nouv. Essais, IV, 2). — Dans les sciences physiques et naturelles, on peut également s’en servir en faisant voir que la contradictoire de l’hypothèse que l’on propose amènerait à nier une loi précédemment établie. Enfin, dans les sciences morales et surtout dans les discussions morales ou politiques, cette forme de raisonnement est très souvent employée. C’est ainsi que raisonne le candidat aux fonctions publiques qui affirme invariablement aux électeurs que, s’ils ne le nomment pas, tous les maux vont fondre sur leurs têtes.

On voit donc que l’absurde est la même chose que l’impensable, qu’il ne peut naître que par l’attribution à un sujet de propriétés qui ne sont pas les siennes, que, pour le découvrir, il suffit d’analyser la proposition qui l’exprime et de faire éclater ainsi la contradiction qu’elle contient. C’est là la réduction simple à l’absurde, qui est le fondement de toutes les autres et d’où dérivent les propriétés des contradictoires. — Dans les sciences, on se sert de ces propriétés des contradictoires de deux façons : ou on prouve qu’admettre une certaine proposition conduirait à en rejeter une autre auparavant acceptée, de sorte que l’adversaire est réduit à cette absurdité d’affirmer et de nier en même temps, ce qui sert à démontrer la fausseté de la proposition avancée ; ou on prouve que la contradictoire d’une proposition conduirait à nier une autre proposition déjà démontrée, et que, par conséquent, la proposition avancée est vraie, sans quoi on serait réduit à cette absurdité d’affirmer et de nier à la fois la même proposition, et cela sert à prouver la vérité de la proposition avancée. Ce sont ces deux sortes de raisonnements distincts, on le voit, que les logiciens et les mathématiciens appellent indifféremment : réduction à l’absurde, raisonnement par l’absurde. Dans tous les cas, l’argument n’a qu’une valeur relative, il n’est probant que pour celui qui admet la proposition à laquelle tout se réfère. Pour qu’il ait une valeur absolue, il faut que cette proposition même ne puisse être niée sans absurdité, ce qui n’a lieu que dans les mathématiques.

G. Fonsegrive.