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PAULHAN. — les phénomènes affectifs

les lois concrètes de phénomènes très complexes seront bien souvent approximatives et indiquent un rapport idéal des faits plutôt qu’un rapport réel. Elles ne sont vraies que sous certaines conditions qui ne se trouvent pas toujours réalisées. Autrement dit nous n’apercevons qu’une portion des lois réalisées dans les phénomènes concrets, tels qu’ils se présentent à nous. Nos lois sont plus simples que les réalités, elles font abstraction de certains éléments de trouble et de désordre que d’autres lois introduisent. La psychologie n’est pas d’ailleurs la seule science qui présente des résultats de cette nature. Si les lois mathématiques ont une précision et une généralité complète, c’est qu’elles ne traitent pas des objets réels, mais bien des réalités idéales. Il n’est pas exact que les parallèles réelles ne se rencontrent jamais, ou plutôt il n’y a pas dans le monde réel de lignes parallèles, il n’y a pas même de lignes. Toute science générale ressemble quelque peu aux mathématiques sur ce point. Quand on dit en physique que l’eau bout à cent degrés, on ne parle pas de l’eau en général, mais bien de l’eau prise dans de certaines conditions, de même quand on établit un rapport entre le poids d’un gramme et celui d’un centimètre cube d’eau, il s’agit d’eau pure, distillée, pesée dans le vide à son maximum de densité. Quand toutes les conditions voulues ne peuvent être connues, ce qui arrive souvent, à cause de la complexité des faits, la loi reste imparfaite comme on le voit en psychologie, parce qu’elle établit un rapport entre un fait et ses conditions principales sans tenir compte suffisamment des conditions secondaires qui sont ignorées.

Il n’est pas surprenant que la psychologie ne donne, en certains cas, que des lois générales qui négligent certaines perturbations, telles sont par exemple les lois générales de l’association des phénomènes conscients, elles indiquent plutôt des tendances que des faits réels, et il est facile de les prendre en défaut sur nombre de points si on ne tient pas compte des conditions qui sont implicitement indiquées dans l’énoncé des lois ou que tout au moins nous devons supposer. À priori donc nous arrivons à cette conviction que les trois principes que j’ai énoncés doivent être examinés de près et qu’il faut déterminer dans quelle mesure ils se vérifient dans les faits.

Le principe de l’habitude est soumis à des exceptions assez nombreuses, il arrive, par exemple, que, après avoir répété plusieurs fois le même acte, on s’en lasse, au lieu d’y prendre encore plus de plaisir. Des goûts disparaissent. L’âge amène souvent de ces résultats. À trente ans, par exemple, on ne joue plus guère avec des soldats de plomb, quelque vif plaisir qu’on ait pu prendre autrefois