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notes et discussions

racine que le latin orior (ar = « s’élever »), et n’a rien de commun, quoi qu’en pense M. Lafargue, avec ὁρμή. Cela est encore plus vrai de οὖρος, bon vent, qui, loin de se rattacher à ὀρθός, n’est que le masculin d’αὔρα, latin aura, et remonte à la racine ἀϝ, que l’on retrouve dans ἀήρ pour ἀϝερ.

La page précédente (259) prête aussi à quelques remarques. Entre φρέαρ, puits, et φράτρα, tribu, il n’y a pas plus d’analogie qu’entre pagus et πήγη ; Vico, en rapprochant ces vocables, prouve simplement qu’il a vécu avant Bopp, ce qui n’est pas le cas pour M. Lafargue. Φράτρα se rattache au sanscrit bhrata, latin frater, allemand Bruder : la phratrie primitive n’est autre qu’une confrérie. Φρέαρ a été dérivé d’une racine φρυ qui se retrouverait dans l’allemand Brunnen ; mais ici le doute est permis et me paraît même recommandable.

En second lieu, φῦλον, tribu, ne dérive point de φύλλον, feuille ; ces deux mots se rattachent probablement — cela n’est point certain pour φύλλον — à la racine bhu, φυ, qui a donné le grec φύω, φύμα, le latin fui, mais là se borne toute leur parenté. Il existe des mots bien grossiers qui dérivent aussi de bhu et qu’on ne voudrait pas rapprocher de φύλλον pour rendre compte de leur signification.

Il y a moins à dire au sujet des « dérivés de la racine νεμ ; » cependant Νέμεσις n’a rien à voir avec les partages agraires, car la conception de cette divinité est toute morale, et je défie qu’on me cite un seul texte où elle paraisse en qualité de déesse Terme. Quant à εἰρήνη (p. 265), je veux bien qu’on le rapproche de εἴρω, parler, mais j’ai peine à admettre ce que dit à ce sujet M. Lafargue : « Les différends entre les tribus et les bourgades ne se réglaient plus par les armes, mais par la parole, d’où Εἰρήνη, la déesse qui parle. » La déesse Εἰρήνη est une tard-venue dans le Panthéon grec ; on ne trouve son culte Athènes qu’à partir de 375. Si son nom se rattache à εἴρω, dire, c’est dans le sens de l’allemand Verabredung (accord), ou de nos termes français pourparlers et parlementaires. Faire la paix, c’est se mettre d’accord, et l’on ne se met d’accord qu’en échangeant ses idées par la parole. Dans le dialecte éléen, une convention se disait Ϝράτρα, et les latins appelaient oratores les ambassadeurs qui venaient traiter de la paix.

On me permettra aussi de ne pas admettre avec M. Lafargue que « Ἐριννύς pourrait venir de ἔριον, laine, d’où dérive ἐριώλη, voleur de laine. » Kuhn a démontré, il y a longtemps, que l’Ἐρινύς grecque est la Saranyus védique ; ce mot avait donc primitivement l’esprit rude, mais ἔριον, qui se rattache à la racine sanscrite var, « couvrir » avec chute du digamma initial, n’a jamais été écrit ἕριον. L’idée de rapidité, qui est dans le sanscrit Saranyus, se retrouverait difficilement dans une couverture.

Les archéologues pourraient, de leur côté, chercher querelle à M. Lafargue. « Sur les monuments du plus ancien style, dit-il, Déméter est représentée la tête couronnée d’épis, tenant à la main des instruments aratoires, des épis et des pavots, le signe de la fécondité. » On