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société de psychologie physiologique

que chez les aliénés, il n’y a rien d’invraisemblable à admettre par exception ce phénomène psychique chez des individus absolument normaux. Comme l’ont fait remarquer les auteurs classiques, il y a, entre l’image mentale et l’hallucination complète, toute une série de transitions graduelles, et la limite entre l’image mentale très forte et l’hallucination très vague n’est pas possible à tracer.

Si je pouvais donner mon propre exemple, — et cela est excusable quand il s’agit de psychologie, — je dirais que souvent les impressions fortes de la journée me reparaissent dans le silence et l’ombre de la nuit, à l’état d’images, quand je ferme les yeux avant de m’endormir. Ainsi, quand j’ai été à la chasse, je vois le soir, en fermant les yeux, des lièvres qui courent dans la plaine. Ayant étudié les microbes des poissons pendant toute une journée, je voyais, en fermant les yeux, le champ du microscope bien éclairé avec des bacilles au milieu. Pour avoir fondu du chlorure de sodium dans un creuset, ayant souvent regardé dans l’intérieur du fourneau, je voyais le soir, en fermant les yeux, des flammes entourant le creuset. Une ou deux fois, ayant assisté dans la journée à des cérémonies religieuses funéraires, j’entendais distinctement le chant des orgues, etc.

Ces faits, quoiqu’étant bien connus, sont bons à rappeler, car ils établissent la transition entre l’état normal et l’hallucination proprement dite. Que l’image soit un peu plus intense, et l’hallucination sera véritable ; qu’elle soit plus intense encore, et il y aura hallucination complète.

Si donc on parvient à démontrer qu’à l’état normal, chez des intelligences irréprochables, il y a parfois hallucination complète, on aura donné l’explication la plus vraisemblable des apparitions, et on aura réduit à néant les histoires d’apparitions et de fantômes qui se trouvent dans des recueils scientifiques[1].


  1. Voy. sur cette question de l’hallucination à l’état normal les ouvrages classiques de Brière de Boismont, de Baillarger, de Taine — et un intéressant ouvrage de M. H. Clarke, Visions, Boston, 1878.