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ANALYSES.lévy-bruhl. L’idée de la responsabilité.

lité individuelle doit être posée devant la société et devant ses juges ; mais il est évident aussi qu’il ne saurait être ici question que d’une responsabilité extérieure ou objective ; seulement que l’individu possède une intelligence ordinaire qu’il est intelligent et qu’il n’a subi aucune contrainte extérieure, et il tombe, en violant la loi, sous le coup de ses sanctions. Cause pour ainsi dire physique et empirique d’un mal social, il en connaissait d’avance les effets légaux ; il les a voulus comme l’action même qu’il a accomplie ; il a accepté d’avance et mérité le châtiment prescrit et prévu ; avant, pendant, et après l’accomplissement de l’acte incriminé, il a eu la pleine conscience de sa responsabilité ; l’application de la peine est donc socialement juste, sans que la responsabilité morale du coupable ait à s’offrir le moins du monde à l’appréciation du juge.

L’examen des cas d’irresponsabilité généralement reconnus par la loi fournit à M. Lévy une confirmation des vues que nous venons d’exposer (pp. 41, sqq.) : est en effet légalement irresponsable tout homme qui, au moment du crime, était dans l’impossibilité de connaître les prescriptions de la loi, ou d’être retenu par la crainte du châtiment. Telle est la condition des idiots et des fous, contre lesquels la société se protège en les enfermant sans les châtier, ou de certains hommes, emportés par la passion aux dernières limites de la violence.

En dégageant ainsi les éléments de la responsabilité légale, et en faisant reposer la justice pénale sur les éléments qu’il emprunte au seul domaine de la nécessité, M. Lévy a le mérite et l’avantage de réduire le droit social de punir aux strictes limites de la défense : et c’est en effet la solution qui nous paraît, comme à lui, s’imposer de plus en plus au moraliste, qui la déduit des principes, aussi bien qu’au légiste, qui la voit peu à peu se dégager de l’histoire. Mais, tandis que M. Lévy se refuse à voir dans la défense autre chose qu’une nécessité brutale, imposée seulement par l’intérêt du plus grand nombre, et qu’il se contente sur ce point, sans y rien changer, de la solution positiviste, nous croyons pour notre part qu’il est possible et nécessaire de la légitimer ; car, à moins de soutenir, ce qui n’est pas loin de la pensée de M. Lévy, qu’aucun fait n’importe à la moralité, n’est en soi ni juste ni injuste, on conviendra qu’un acte, fût-il un acte social, n’est pas légitime en soi, et que la nécessité, loin de rien justifier, ne se justifie pas elle-même. Si en effet, l’homme n’avait droit à la vie, la nécessité de vivre ne ferait point que la vie de l’homme fût sacrée pour l’homme ; si l’homme individuel, et si conséquemment les hommes en société n’avaient pas le droit de défendre leurs droits, la nécessité de la défense sociale la ferait sans doute exister, mais ne la justifierait ni ne la rendrait respectable aux yeux d’aucun homme. C’est cette justification nécessaire que, de parti pris, M. Lévy n’a point entreprise : ce qui frappe, dans toute la suite de sa thèse, c’est l’oubli étrange, mais voulu, de la notion du droit. Peut-être, s’il eût consenti à lui faire quelque place dans la vie humaine, eût-il été conduit à reconnaître que si la loi morale confère à l’homme une dignité absolue, dignité signifie inviolabilité, et que l’inviolabilité de droit