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LAFARGUE. — origine de l’idée du bien et du juste

seront aussi brèves que possible. Pour plus ample développement, je renverrai le lecteur aux deux ouvrages suivants : il y trouvera un exposé philosophique du développement des sociétés humaines. — Der Ursprung der Familie, des Privateigenthums und des Staats (L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’état), par F. Engels (1884). — Village communities in the East and West (Les communautés de village dans l’est et l’ouest), six conférences prononcées à Oxford par sir H.-S. Maine, membre du gouvernement suprême des Indes (1871).

Il est loisible aux économistes orthodoxes, qui restent en dehors des théories de la science moderne, de croire que la forme de la propriété, telle qu’elle existe dans les pays civilisés, a existé de tout temps et en tous lieux ; mais les historiens qui étudient les débuts des sociétés humaines constatent au contraire que la propriété individuelle du sol est de date relativement récente, et que partout elle est précédée par l’appropriation collective : c’est-à-dire que la terre n’appartient pas individuellement aux particuliers, mais collectivement à des agglomérations de pères de famille. Tous les ans ou tous les deux, trois, sept ans, selon les époques et les pays, les terres arables sont remises en commun et redistribuées entre les familles de la petite société ; les bois, les pâturages, lès cours d’eau, les travaux d’irrigation restent toujours propriété indivise. La part de chacun n’est pas clôturée par des murs ou des haies vives, mais simplement délimitée par bandes des terre incultes, des sillons et des bornes. Il doit en être ainsi, car la moisson terminée au jour fixé par le conseil des pères de famille (ban des moissons), les terres arables en chaumes sont livrées à la vaine pâture, c’est-à-dire que tous, indistinctement, ont droit d’y envoyer paître leurs bestiaux.

Haxthausen, baron et fonctionnaire prussien, donc doublement réactionnaire, est le premier qui signala à l’Europe l’existence en Russie de cette étrange forme de propriété[1]. Déjà lord Meltcalfe, qui fut gouverneur général des Indes, l’avait étudiée dans les Indes[2], et

  1. A. de Haxthausen, Études sur la situation intérieure, la vie nationale et les institutions rurales de la Russie. Hanovre, 1848.
  2. Report of select committee of House of Commons, 1832. La remarquable déposition de lord Meltcalfe est publiée in extenso dans l’appendice, vol.  XI. Maine ne la mentionne pas dans son livre sur les Communautés de village. Ce document historique de première importance n’a pas été compris dans la publication des rapports de lord Meltcalfe, fait en 1855 par W. Kaye.