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ANALYSES.lévy-bruhl. L’Idée de responsabilité.

profondes ; mais, loin de les dissimuler, il a pris le parti de les mettre en relief ; car ce sont, à son gré, les conditions de la moralité humaine ; et tenter une solution de cette antinomie, tenter même une simple conciliation entre les éléments formels de l’intention et l’empirisme des faits, c’est supprimer l’objet même du problème : car, pour que la moralité soit, il est nécessaire que par son principe elle nous soit inaccessible, ce principe étant un véritable noumène et appartenant au domaine de l’absolu, Il faut donc, non dissimuler la difficulté, mais l’accuser, non concilier les deux termes de l’antinomie, mais les séparer irrévocablement ; et si M. Lévy a choisi et traité le sujet de la responsabilité humaine, c’est sans doute qu’à ses yeux nulle autre notion ne montre mieux la confusion des éléments incompatibles de la moralité, et la nécessité d’en effectuer résolument le partage et la division définitive (p. xii, pp. 119-127).

De même, en effet, qu’en chacun de nous il y a deux hommes, de même il y a aussi deux sortes de responsabilités : une responsabilité morale des actes dont nous serions la cause absolue, une responsabilité empirique de ceux dont nous sommes le sujet plutôt que la cause, qui se développent en notre être plutôt que nous ne les dirigeons ou ne les produisons. À la première, l’auteur de la thèse réserve la dénomination précise de responsabilité morale, ou encore subjective, parce qu’elle est tout interne, et sensible seulement au plus profond de la conscience. À la seconde, il donne le nom de responsabilité extérieure ou objective, par la raison qu’elle apparaît à ceux qui voient l’homme du dehors, dans les phénomènes qui constituent son existence positive. Sans vouloir lui chercher chicane sur une définition purement nominale, peut-être le mot objectif n’est-il pas très heureux pour désigner une responsabilité tout aussi subjective que ia première, mais subordonnée aux lois du déterminisme, tandis que celle-ci s’en affranchit au même titre que la liberté même.

Quoi qu’il en soit, responsabilité intérieure et responsabilité extérieure méritent d’être aussi nettement distinguées l’une de l’autre que le domaine de la moralité en l’homme doit l’être du domaine des actes sous lesquels elle apparaît. Par une double analyse d’une extrême finesse, M. Lévy a voulu retrouver les éléments constitutifs de l’une et de l’autre (ch.  Il et III). Le sens commun, en effet, les connaît tous, mais les assemble confusément et en perd de vue l’origine, si bien que, par ce mélange bizarre d’éléments incompatibles, il risque de les altérer les uns par les autres et de provoquer une dissociation capable d’atteindre et de compromettre la notion même de responsabilité. Et en réalité, la conscience publique est troublée (p. 12) : le problème de la responsabilité, qui se pose souvent devant elle, l’égare et l’intimide, à un tel point que le jury pourrait bien n’être plus de nos jours une garantie ni pour les individus, qu’il condamne parfois tout irresponsables qu’ils sont, ni pour la société, que trop souvent il oublie de défendre par une pitié exagérée pour les criminels les plus endurcis. Pour éviter de tels