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Lorsque le Parménide et le Sophiste auront été suffisamment éclairés par la critique, lorsqu’on y pourra discerner un peu mieux quelles sont, en fait, les doctrines contemporaines auxquelles s’attaque Platon, reconnaître par suite dans quelles conditions doit être cherchée la concordance entre ces dialogues et le reste de l’œuvre du maître, tous les doutes s’évanouiront. C’est ainsi qu’aujourd’hui personne ne pense à combattre l’authenticité du Phédon, tandis qu’ainsi que l’a rappelé Alessandro Chiappelli dans une note très intéressante, cette authenticité avait été mise en question par Panétius de Rhodes ; c’est que ce dernier ne pouvait accorder l’ensemble des doctrines platoniciennes avec la thèse de l’immortalité de l’âme, objet apparent du Phédon.

Avant de quitter le volume de Teichmüller, je dois y signaler : une nouvelle discussion sur cette question toujours ouverte, de la doctrine de l’immortalité dans Platon (Chap. V) ; des recherches très curieuses sur la diète du philosophe, où il est montré que ce dernier, tout en concédant l’usage de la viande en certains cas, comme pour les soldats, par exemple, soutenait et observait en général les principes végétariens[1] (chap. VI) ; enfin la traduction critique (chap. VII) des διαλέξεις ἠθικαί anonymes en dialecte dorien qui se trouvent classées parmi les fragments pythagoriciens dans la collection de Mullach (éd. Didot, I, p. 544-552), et l’attribution de ces διαλέξεις au cordonnier Simon.

Teichmüller fait remarquer qu’il n’y avait aucune difficulté pour un attique à transcrire un écrit en dialecte dorien ; il rappelle qu’une partie des dialogues d’Aristippe était publiée en attique, le reste en dorien, qu’évidemment le choix de ce dialecte par Aristippe était dû à ce qu’il avait dédié tels de ses écrits à Denys l’Ancien. Simon a pu faire de même pour s’attirer les faveurs du tyran de Syracuse. Les données fournies par Diogène Laërce sur les σκυτικοὶ διάλογοι s’appliquent très convenablement aux opuscules anonymes en question, et on y reconnaît d’autre part, dans les trois derniers, des attaques assez directes contre le Protagoras de Platon, attaques qui doivent venir d’un socratique. On sait, du reste, que Simon était en hostilité déclarée contre Platon ; mais celui-ci négligea ce mince adversaire et se contenta de faire de temps en temps allusion à l’opinion des σκυτότομοι.

Je ne puis entrer dans tous les détails de la démonstration de Teichmüller, non plus que dans ceux de la réfutation qu’il fait des opinions antérieures relatives à l’attribution des διαλέξεις anonymes, mais sa thèse me paraît définitivement assise, et malgré le peu d’importance apparente de la question (car ces opuscules sont bien maigres en somme), les pages qu’il y a consacrées sont loin d’être les moins intéressantes de son volume.

  1. Teichmüller montre que ce devait être probablement la position déjà prise par Pythagore : Héraclite semble également avoir été un végétarien. (Diog. Laërce, IV, 3.)