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notes et discussions

l’atavisme dans les phénomènes humains où il est le mieux établi, dans l’embryologie, par exemple, on risque souvent de s’égarer. Il en est de l’atavisme comme de ces nuages qui, vus de loin, apparaissaient nettement, et qui disparaissent quand on les regarde de trop près. On voit se produire ce qui a lieu pour certains tableaux modernes, que j’appellerai Hollandais au rebours : vus de près, ces tableaux ont l’air de croûtes surchargées de couleurs ; à distance, ils présentent d’admirables portraits. Dans les deux cas, la ligne existe ; seulement, pour la saisir, il faut reculer le point de vue.

Cela est bien réel. En voulez-vous la preuve ? Adoptez cette opinion, et vous verrez aussitôt s’ouvrir devant vous mille voies nouvelles qui, s’éclairant l’une l’autre, éclaireront en même temps le sujet, tandis que le contraire devrait se produire si tout cela n’était qu’illusion pure.

Lombrroso.
Turin le 15 juin 1885.


Réponse de M. Tarde.

Je n’ai à répliquer qu’un mot à la substantielle et vraiment magistrale réponse de M. Lombroso, après m’être applaudi tout d’abord de avoir provoquée dans l’intérêt de la science. Si, en écrivant mon article sur le type criminel, j’avais eu connaissance de la thèse définitive à laquelle il s’est arrêté récemment et qui est fort nette, je me serais abstenu de certaines critiques, sauf peut-être à en produire d’autres.

En deux mots, l’épilepsie est le genre dont la criminalité innée, l’imbécilité morale, serait une simple espèce ; tout criminel par tempérament serait épileptique, quoique assurément tout épileptique ne soit point criminel. Autant que j’en puis juger, malgré mon incompétence anthropologique, il y a dans cette vue une justesse profonde qui appelle, il est vrai, des éclaircissements nouveaux. Rien de plus propre, je le reconnais, à concilier ce qu’il y a de morbide et ce qu’il y a d’atavique dans le penchant criminel. Mais il est clair aussi qu’à ce point de vue la plus grande partie de la criminalité d’habitude reste inexpliquée par des causes d’ordre principalement biologique ; car la plupart des récidivistes endurcis, incurables, ne sont point épileptiques. Cela me suffit.

Quant à la criminalité des femmes, je maintiens qu’elle est inférieure à celle des hommes, nonobstant la prostitution. Si, dans le chiffre de la délictuosité féminine, on prétend comprendre les courtisanes, je me demande pourquoi on ne comprendrait pas dans le chiffre de la délictuosité masculine, non seulement les souteneurs, mais encore les débauchés, les joueurs, les ivrognes, les paresseux et les déclassés de notre sexe. La prostitution, à vrai dire, c’est l’alcoolisme, le para-