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LECHALAS. — comparaisons entre la peinture et la musique

rapportent essentiellement à la catégorie de l’espace, et la musique à la catégorie du temps.

Ces questions préliminaires élucidées, nous pouvons aborder l’examen des correspondants du dessin. Comme nous l’avons vu, le rythme et la mesure, qui divisent le temps, répondent exactement, dans la réalité, au dessin qui divise l’espace. Dans sa discussion esthétique, M. Sully Prudhomme n’admet pas cette correspondance pour le motif suivant : « Une suite de sons dans la durée, dit-il, est comparable à une ligne dont les points seraient variables d’éclairage et de vivacité, mais cette ligne serait constamment droite, car on ne peut concevoir aucune variation d’orientation d’un son par rapport à un son précédent. Or la constance de direction exclut toute idée de dessin. » Cette argumentation ne nous paraît pas convaincante, car il est bien clair qu’on ne découvrira jamais dans le temps ce qui se trouve dans l’espace, et, d’autre part, nous ne voyons pas comment on peut, avec une telle recherche de la rigueur, parler d’une direction dans le temps, car la direction ne se trouve, au propre, que dans l’espace.

« Le mot dessin est cependant usité dans la critique musicale, poursuit M. Sully Prudhomme… Essayons de déterminer comment ce mot peut être applicable à la musique. » Pour résoudre cette question, il a recours à un ordre de considérations bien scientifiques : « On peut dire d’une manière générale que toutes tes variations susceptibles de mesure à quelque degré, dans une catégorie quelconque de sensations, peuvent être conçues et exprimées sous la forme d’un dessin, parce qu’on peut toujours les représenter par des longueurs différentes de verticales partant d’une base horizontale et imaginer toutes les extrémités supérieures de ces verticales jointes par une ligne sinueuse. » Or, M. Sully Prudhomme admet que le mot dessin, en musique, a pour origine cette représentation graphique des phénomènes. « Le langage, dit-il, a fait spontanément l’application de ce procédé à la musique. On dit, en effet, des sons, suivant leurs degrés d’acuité, qu’ils sont plus ou moins hauts, plus ou moins bas. Or, cette locution ne peut se comprendre que si l’on admet une base horizontale au-dessus de laquelle l’acuité de chaque son est représentée par une verticale d’une certaine hauteur. Dès lors les extrémités supérieures des verticales qui représentent les différentes hauteurs des sons consécutifs d’une phrase musicale, sont situées diversement les unes par rapport aux autres et déterminent une ligne qui n’est pas droite et peut figurer un dessin. » M. Sully Prudhomme ajoute qu’on peut représenter de la même manière les différentes