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tion chaque point de l’organe sensoriel avec chaque point de l’étendue à percevoir.

Ainsi qu’il est facile de le vérifier, les organes de la vision satisfont à cette double condition. Dans le cas de la vision distincte, chaque point perçu réfléchit des vibrations lumineuses qui viennent se concentrer en un point déterminé de la rétine, et la sensation résultant de ce fait dépend de ce dernier point, puisque nous distinguons la direction dans laquelle se trouve le point extérieur. D’autre part, les muscles moteurs de l’œil permettent de déplacer celui-ci de façon à amener successivement les divers points de la rétine au foyer conjugué du point perçu ; dans l’espèce, ces mouvements sont d’autant plus nécessaires que la rétine n’est douée d’une grande sensibilité que sur une surface très réduite, celle de la tache jaune. Dans ces conditions, chaque œil est admirablement disposé pour donner la perception de l’étendue à deux dimensions ; mais l’union des deux yeux est nécessaire pour produire directement la perception de la profondeur. Le sens musculaire donne, en effet, conscience du degré de convergence qu’il est nécessaire de donner aux deux yeux pour amener les deux images du même point à se former en des points correspondants des deux rétines. Cette conscience devient surtout très vive, quand on regarde successivement des points inégalement distants, ce qui force à changer le degré de convergence.

Si nous considérons maintenant les oreilles, nous trouvons des conditions bien différentes. L’onde sonore produite par la vibration d’un point déterminé n’éprouve aucune réfraction en pénétrant dans l’oreille et l’affecte dans son entier, en sorte qu’il n’y a pas, comme dans l’œil, un point de l’organe dont la modification soit produite spécialement par le point extérieur. À ce fait essentiel s’ajoute, chez l’homme, une immobilité relative des oreilles qui n’en permet l’orientation que par un mouvement général de la tête, et en empêche absolument la convergence. Les animaux qui sont mieux doués que nous à cet égard déterminent évidemment avec une bien plus grande précision la position d’un corps sonore, mais l’absence de la première condition n’en constitue pas moins un obstacle invincible à La perception véritable d’un espace sonore.

Il va de soi, d’ailleurs, que la coordination dans l’espace n’empêche aucunement la coordination dans le temps, et par suite les objets soumis à la vision peuvent se déplacer : c’est ce qui a lieu notamment dans la danse, qui présente par là même beaucoup d’affinité avec la musique ; mais il n’en reste pas moins vrai que les arts optiques se