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BEAUNIS. — l’expérimentation en psychologie

rythme des battements du cœur, ou produire une rougeur en un point désigné. Je ne puis entrer ici dans la discussion de cette question qui est d’ordre purement physiologique, discussion que j’aurai occasion de faire ailleurs et je suis obligé d’y renvoyer le lecteur désireux de se former une opinion sur ce point. Il est bien entendu que je parle ici de l’action directe de la volonté sur les fonctions organiques, car il est bien évident que la volonté peut agir indirectement sur la circulation en modifiant le rythme respiratoire ; mais il ne s’agit pas d’un fait pareil dans l’expérience que j’ai citée plus haut. On ne peut non plus invoquer l’influence d’une émotion, car on évitait soigneusement de suggérer au sujet tout ce qui pouvait ressembler à une émotion quelconque.

Il me paraît donc démontré que ni la volonté seule, ni la suggestion seule ne suffisent pour expliquer ces phénomènes ; il faut qu’il y ait en outre un état particulier du sujet, une modification de son innervation cérébrale, en un mot une réceptivité et une aptitude réactionnelle bien différentes de ce qu’elles sont à l’état normal. Cet état cérébral particulier, en quoi consiste-t-il ?

Il est bien difficile de répondre à cette question. Tout ce que nous savons, c’est que nous pouvons le déterminer en produisant le sommeil hypnotique ; mais nous pouvons encore le déterminer d’une autre façon ; je veux parler ici de la veille somnambulique que j’ai étudiée dans un des paragraphes précédents. Or, si on analyse la façon dont s’établit cet état de veille somnambulique, on remarque de suite qu’il y a pour sa production une condition essentielle. Lorsque sur un sujet je veux faire une suggestion à l’état de veille, je cherche d’abord à frapper fortement son attention. Je lui dis, par exemple : « Regardez-moi bien ou écoutez-moi bien », ou, sans paroles, ni gestes, je me contente de le regarder fixement d’une certaine façon ; en un mot, j’imprime à son système nerveux un choc inattendu, j’arrête, pour ainsi dire, par quel moyen, peu importe, geste, regard, parole impérative, le cours de ses pensées et l’évolution de son activité nerveuse, comme on arrête brusquement au passage un individu qui court ou une pierre qui tombe. Ce choc cérébral, si l’on peut s’exprimer ainsi, me paraît la condition sine qua non de la réussite ; il se produit une sorte de modification cérébrale, d’état particulier inconnu dans son essence, mais hors duquel les suggestions ne pourraient avoir leur effet utile. Est-ce une action d’arrêt et le mouvement nerveux ainsi enrayé subitement se transforme-t-il en quelque chose, chaleur, électricité… que sais-je ! qui modifie l’excitabilité et la réceptivité de la substance cérébrale ? On ne peut jusqu’à nouvel ordre faire là-dessus que des hypothèses. Il