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ANALYSES.schaeffle. Le corps social.

L’autorité pourra être représentée par un homme, ou par une classe, ou par une formule. Mais, sous une forme ou sous une autre, elle est indispensable. Que deviendrait la vie individuelle sans l’innervation ? Ce serait le chaos. Or, partout et toujours, ce qui fait la force de l’autorité, c’est la foi. Si on obéit quand elle commande, c’est qu’on croit en elle. La foi pourra être libre ou imposée ; avec le progrès elle deviendra sans doute plus intelligente et plus éclairée, mais elle ne disparaîtra jamais. Si, en usant de violence ou d’artifices, on parvenait à l’étouffer pour un temps, ou bien la nation se décomposerait, ou bien on ne tarderait pas à voir renaître des croyances nouvelles, plus fausses et plus mauvaises que les précédentes, parce qu’elles auraient été moins mûries et moins éprouvées, parce que, pressé par le besoin de vivre, on se serait, sans examen, livré aux premières venues. Au reste, la foi n’a rien dont il faille rougir. Nous ne pouvons pas tout savoir ni tout faire pour nous-mêmes ; c’est un axiome qui devient plus vrai tous les jours. Il faut donc bien que nous nous adressions à autrui, plus compétent. Pourquoi mettre notre point d’honneur à nous suffire à nous-mêmes ? Pourquoi ne pas profiter de la division du travail ?

L’autorité sera toutefois funeste si elle est tyrannique. Il faut que chacun puisse la critiquer et ne se soumettre que librement. Si on réduit la foule à une obéissance passive, elle finira par se résigner à ce rôle humiliant ; elle deviendra, peu à peu, une sorte de manière inerte, qui ne résistera plus à l’action, qu’on pourra façonner à volonté, mais à laquelle il sera désormais impossible d’arracher la moindre étincelle de vie. Or, ce qui fait la force d’un peuple, c’est l’initiative des citoyens, c’est l’activité des masses. L’autorité dirige la vie sociale, mais ne la crée ni ne la remplace. Elle coordonne les mouvements, mais les suppose. Imaginez que chez l’individu la vie se retire de la surface du corps : le système nerveux aura beau survivre au milieu de cette ruine, il ne parviendra jamais à ébranler la moindre partie de cette substance morte au sein de laquelle il est enseveli. Aussi là où le despotisme a longtemps régné, rien ne parvient plus, même aux jours de péril, à galvaniser la nation. Au contraire, dans les démocraties le peuple tient en réserve une énergie latente qui se révèle tout à coup, comme miraculeusement. C’est qu’ici les derniers éléments de la société sont vivants et font tous les jours des économies de force et de vitalité qui se retrouveront plus tard, au moment du danger.

Ces principes généraux, Schaeffle les vérifie par une étude minutieuse des faits. It analyse l’âme des peuples et en démonte tous les roua es et les ressorts compliqués. Nous ne pouvons que résumer rapidement les résultats de ses observations.

Dans la société comme chez l’individu, les états de conscience peuvent être ramenés à trois types principaux : intelligence, sensibilité, volonté.

L’intelligence et la sensibilité sociales n’ont point de sièges ni ganes déterminés. Elles n’appartiennent pas à quelques citoyens, mais