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qu’aucune force ennemie, soit interne, soit externe, ne parviendrait à entamer. Mais il payerait cher cette solidité : car elle ne pourrait être acquise et maintenue qu’au prix d’une énorme centralisation et par un gouvernement oppressif au dedans, belliqueux au dehors. Or, aujourd’hui surtout, une nation peut et doit avoir un autre idéal que cette concentration artificielle, que cet égoïsme jaloux et perpétuellement agressif. Et en effet, si l’on laisse les sentiments naturels se produire et se développer librement, ils se montreront moins étroits et moins exclusifs. Parmi les liens que nous passions tout à l’heure en revue, il en est plus d’un qui, s’il n’est arrêté par la violence, passera par dessus les frontières et rapprochera des hommes de nationalité différente. Est-ce que nous ne pouvons pas avoir des amis à l’étranger ? Est-ce que la science, est-ce que les religions modernes sont la propriété d’une nation ? Est-ce que les peuples n’ont pas, en général, les mêmes intérêts économiques ? Ainsi naissent des idées nouvelles. Le cosmopolitisme vient combattre les effets d’un patriotisme aveugle. De ce que ces deux sentiments sont opposés, il ne s’ensuit pas qu’un jour l’un doive étouffer l’autre. Ils sont tous deux nécessaires. Il est certain que dans l’avenir les relations internationales sont destinées à prendre de plus en plus d’importance et d’extension ; mais elles ne supprimeront pas pour cela la vie nationale, de même que celle-ci, en se développant, n’a pas supprimé la vie domestique. Le mieux serait que ces deux tendances se fissent éternellement équilibre. Une société où elles se combineraient harmonieusement serait une, tout en restant libre ; forte, sans être envahissante.

L’unique raison d’être de tous ces tissus est d’assembler et de tenir unis les membres de la société. Mais au sein de cette masse homogène une différenciation s’établit. Les individus rapprochés se groupent de manière à remplir les fonctions nécessaires à la vie commune. Ainsi se forment des tissus nouveaux. Ce ne sont pas encore des organes, car ils ne sont composés que d’éléments semblables et d’ailleurs tous les organes résultent de leurs combinaisons. Mais ces tissus se distinguent des précédents en ce que chacun d’eux a une forme et un rôle déterminés. Ce sont même des unités indépendantes qui peuvent vivre d’une vie propre, personnelle, et sans être absorbées par le milieu dont elles font partie.

Ils sont au nombre de cinq :

1⁰ Chaque organe occupe un emplacement qu’il adapte à ses fonctions. Les villes, les villages, les fermes, les routes, forment ainsi comme un immense tissu qui parcourt la société dans tous les sens il rappelle notre système osseux. Une capitale, sans ses habitants, ressemble au crâne, les villes secondaires s’échelonnent à la suite comme les vertèbres.

2° Chez l’animal, la plupart des organes sont protégés par l’épiderme, l’épithélium, les muqueuses, etc. Dans la société il y a aussi des tissus