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rile, c’est la peste de la morale. La seule chose à laquelle il faille tenir c’est au droit de choisir, entre toutes les fonctions, celle que nous jugeons convenir le mieux à notre nature. Pouvoir nous spécialiser sans contrainte, voilà la seule liberté qui ait quelque prix ; or, elle n’est possible que dans une société.

Les êtres vivants sont faits de molécules matérielles ; mais les molécules ne sont pas vivantes. De même la société est faite d’individus et de richesses ; mais ni les richesses ni les individus ne manifestent la vie sociale. Celle-ci n’apparaît qu’avec la famille qui est comme la cellule de la société. Elle est naturellement composée de ces deux éléments que nous venons de définir et que nous retrouverons partout : d’une part les personnes (époux, enfants, domestiques), de l’autre les choses dont l’analyse présente une difficulté et soulève une question. Dans la cellule organique nous avons distingué une substance intracellulaire, une autre intercellulaire. La première est directement soumise à l’action de la cellule et participe à sa vie ; c’est son bien, sa chose. La seconde, sans appartenir à aucune cellule en particulier, sert à les mettre toutes en relation et se trouve être ainsi la propriété indivise de la communauté. Nous devons rencontrer dans la famille la même distinction. Et, en effet, il y a des biens dont le rôle est uniquement d’entretenir la vie domestique : la cellule sociale se les approprie et elle en a le droit ; car autrement elle mourrait. Mais il en est d’autres, — Schaeffle les appelle d’un mot, le capital — qui sont destinés avant tout à faire communiquer les familles entre elles. Ils sont nécessaires pour porter la vie dans tous les sens et dans toutes les directions. Ils doivent donc circuler librement, n’appartenir à personne, mais à tout le monde. Malheureusement, comment distinguer ceux-ci de ceux-là ? Où commence et où finit le capital ? Sans doute, il est l’aliment nécessaire de toutes les entreprises sociales ; mais il est aussi, en partie du moins, la source du revenu qui nourrit la famille. Ces deux sortes de richesses, quoique différentes, se pénètrent si intimement qu’on a pris l’habitude de les confondre ; on les a soumises au même régime, et le capital est resté ce qu’il était au commencement de l’histoire, une propriété de la famille. Mais voici les tristes effets de cette confusion : Quelques cellules absorbant toute la richesse sociale, les autres en sont à jamais déshéritées. Hypertrophie d’un côté, anémie de l’autre. De là le prolétariat, la lutte des classes, la concurrence sans frein, la toute-puissance de l’argent avec ses déplorables conséquences. Voilà le mal : quel est le remède ? Il ne peut être question de supprimer la propriété, mais on peut la généraliser. Il faut empêcher le monopole et que la vie puisse arriver jusqu’aux moindres éléments de l’organisme. Mais pour cela il n’y a qu’un moyen : rendre à la nation les instruments de travail faire de la vie économique une fonction sociale et la soumettre à une direction collective et consciente.

Comme la famille est le germe d’où naît la société, nous devons y