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revue générale. — l. dauriac. Moralistes anglais.

part et d’autre les prémisses sont donc à peu près les mêmes. Mais la conclusion seule diffère, et c’est la conclusion qui importe. Les uns paraphrasent les deux vers célèbres de notre Lamartine, et prennent au sérieux le mythe du Phèdre : ce sont Kant, Fichte, Thomas Green et tous les idéalistes. Les autres nous réduisent à une condition plus humble, on sait laquelle. S’ils disent vrai, les pessimistes auront beau jeu. De là vient qu’en dépit des progrès croissants de l’évolutionnisme, on lui dispute pied-à-pied le terrain ensemencé par Kant et les défenseurs de l’idéalisme. Certains s’en étonnent et se prennent à sourire. Pourquoi ne se résigner point, disent-ils, à une défaite qu’on sait inévitable ? Mieux ne vaut-il pas hâter l’avenir que prolonger le passé ? — Sait-on bien ce que l’avenir fera des systèmes et si les vaincus de la veille ne seront pas les vainqueurs du lendemain ?

IV. La morale de M. Spencer sera-t-elle acceptée par les hommes du vingtième siècle ? Certes, le livre des Data of Ethics est digne de ses aînés. Jamais plus vigoureux effort n’a été fait pour fonder une morale, en dehors de tout concept métaphysique. De deux choses l’une, ou la morale est tombée sur la terre et alors son apparition est miraculeuse, ou elle est le produit d’une évolution. Dans ce cas, la morale relève des autres sciences, car il n’est pas de phénomènes plus complexes que les phénomènes moraux. On peut démontrer les rapports de la morale avec les autres sciences, en envisageant la conduite sous son quadruple aspect, physique, biologique, psychologique et sociologique. De là quatre séries de démarches et dont les résultats, résumés par M. Spencer, lui ont permis d’enrichir la science morale de chapitres entièrement nouveaux. Notre dessein n’est pas de refaire une analyse déjà faite et bien faite, aussi n’est-ce pas tant de M. Spencer qu’il va être question que de son contradicteur infatigable, M. Malcolm Guthrie. Je ne sais trop comment ont été accueillis par le public anglais, les deux livres dont nous avons ici rendu compte et où la philosophie spéculative des Premiers principes et des Principes de biologie est assez durement malmenée. Les raisons qui nous empêchent, nous et d’autres, d’adhérer à l’évolutionnisme métaphysique, et qui sont, je l’imagine du moins, si fortes contre les thèses fondamentales d’Herbert Spencer, M. Guthrie les a reprises, presque une à une. Il a recommencé et rajeuni le débat. C’est un polémiste plein de verve, amoureux de controverse, moins avide d’édifier que de détruire et qui excellerait dans le journalisme d’opposition. Il est, aussi, bien près d’exceller dans le rôle autrement difficile de dialecticien philosophe et nous l’admirerions presque sans réserve, si, à travers sa façon de combattre, il nous permettait d’entrevoir pour quelle cause il combat. Dans ses deux premiers ouvrages, M. Guthrie nous assurait que la cause de l’évolutionnisme était la sienne, mais il ne le montrait que dans ses préfaces. Une fois le livre commencé, l’évolutionniste se dissimulait tant et si bien qu’on le croyait disparu.

Cette fois il n’y a plus à s’y méprendre. La philosophie de l’évolution