Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
revue générale. — l. dauriac. Moralistes anglais.

pas un confessionnal, que la théorie du souverain bien met l’homme sur la grande route de la vertu, lui inspire la volonté de bien faire, le goût de l’honnêteté, mais sans pénétrer dans le détail de la casuistique. La solution des cas de conscience n’est pas l’office de la philosophie morale. Aucun système, d’ailleurs, ne saurait affranchir une conscience scrupuleuse des perplexités qui souvent précèdent la résolution d’agir. Les hédonistes ont cru mieux faire que les autres, ils n’ont pas mieux réussi. Leur idéal du bien reste vague, indéterminé dans ses applications particulières, en outre assez peu en harmonie avec les principes du système. La morale pratique reste donc une « morale générale » en dépit de ceux qui lui donnent l’épithète contraire. Elle n’en a pas moins un commencement d’efficacité. Se dire qu’il est un idéal de moralité, c’est la première condition pour devenir meilleur. Les progrès dans le bien, supposent une idée ou plutôt un type de sagesse dont on s’efforce de réaliser l’image. Plus on a les yeux fixés sur lui, plus on le désire et plus on l’aime ; plus on songe à Dieu, plus on voudrait lui ressembler.

La notion d’un idéal moral, la théorie de cet idéal ne servent pas tant à l’instruction, qu’à l’édification : elles n’éclairent pas la conscience mais elles l’informent, la prédisposent et lui font prendre cette attitude d’aspiration, de respect, d’amour pour la vertu, sans laquelle l’apprentissage de la vertu resterait stérile. « Paix aux hommes de bonne volonté. » Cet épigraphe d’un livre sur l’Intention morale[1] conviendrait également bien aux Prolegomena to Ethics. Les deux écrivains, l’un au terme d’une carrière bien remplie, l’autre au seuil d’une carrière fauchée par la mort se sont rencontrés pour conclure en faveur de la morale de Kant, malgré ses lacunes, malgré, peut-être même, à cause de ses réserves. Le jeune philosophe Ch. Vallier estimait que la science morale ne saurait se confondre avec l’art de bien vivre, et qu’il faut laisser à chacun de nous le soin de diriger sa conscience. Une plus longue expérience de la vie l’aurait sans doute confirmé dans cette opinion qui paraît être celle de Green et que je résumerais ainsi la vertu se prêche ; elle ne peut s’enseigner.

III. Nous connaissons maintenant le système dans ses grandes lignes. Essayons de l’apprécier dans ses rapports avec le système de Kant.

Quel est le principe de la morale de Kant ? C’est, tout le monde en conviendra, la distinction de la matière et de la forme, appliquée aux actes, et non plus seulement aux connaissances : c’est encore l’opposition de cette forme et de cette matière, le rejet de tout élément matériel hors la sphère de la morale. La morale est affaire d’attitude plus encore que de conduite. Faut-il dire « plus encore » ? ou « exclusivement » ? Dans ce cas, des hommes pourraient se bien ou se mal conduire et personne n’en rien savoir ; car le motif de l’acte ne transparaîtrait jamais à travers l’acte. — En vain nous assure-t-on que

  1. Nous en avons ici rendu compte dans le premier volume de l’année 1883.