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« bonne volonté » ne signifie rien ; ensuite, prononcez les mots : vertu, dévouement, abnégation, sacrifice, le premier venu vous en ébauchera l’explication.

Pourquoi le bien ne peut-il être réalisé dans l’individu ? Parce que l’homme est une créature raisonnable, parce que la raison ne peut pas ne pas se vouloir partout où elle existe en puissance, c’est-à-dire partout où il y a des hommes. Par définition, le bien de la raison est donc bien commun, common-good, bien universel. Ici notre philosophe marche directement à la suite de Kant le principe de l’humanité fin en soi ou n’a point de sens, ou implique l’existence d’une société d’êtres raisonnables, sujets du même impératif, inspirés par le même idéal.

Est-ce à dire que la science morale est faite quand on est remonté aux sources de l’obligation et de la vertu ? L’étude de la philosophie pratique ne saurait, sans mentir à sa définition même, rester pratiquement inefficace. Nous sommes obligés d’être vertueux, c’est-à-dire justes, sages et forts, d’aider nos semblables dans l’accomplissement de leur destinée, dans l’acquisition des vrais biens. Voilà ce que la morale nous ordonne. Elle met à notre disposition des maximes générales de conduite valables pour toutes les circonstances de la vie. N’a-t-elle rien de plus à faire ? N’avons-nous rien de plus à lui demander ? On a souvent opposé la morale des philosophes à la morale des églises, l’une plus impérative, l’autre plus persuasive, l’une condamnée à la perpétuelle vision d’un insaisissable idéal, l’autre plus soucieuse des moyens d’y atteindre, l’une à l’usage des métaphysiciens et des dilettantes, l’autre à la portée des âmes naïvement honnêtes, uniquement préoccupées de bien faire. Il y a du vrai dans cette opposition. Le catéchisme est plus précis dans ses commandements que la plupart des traités de morale. C’est qu’il s’adresse aux ignorants où aux simples, à ceux que les philosophes négligent ; en revanche, les cours de morale élémentaire et aussi les catéchismes sont écrits pour des enfants. Mais il est rare que l’enfance ait besoin d’initiative. L’enfant n’a pas à connaître ses devoirs, on les lui indique, et les efforts qu’il lui faut accomplir sont des efforts d’obéissance. Devenu homme, il devra faire des efforts de réflexion, tâcher de bien connaître son devoir afin de le bien remplir et c’est alors que le catéchisme ne lui suffira plus.

Au fond, ce qu’on appelle « la morale pratique ou la « doctrine du droit et de la vertu ne suffit jamais à dissiper les scrupules de conscience. Les circonstances de la vie quotidienne comportent des variations dont le détail peut aller à l’infini. Ni le philosophe ni le théologien ne sauraient les prévoir toutes, encore moins tracer à chacun de nous la route à suivre. La moralité parfaite ne va point sans la direction de conscience, et cette tâche délicate entre toutes ne saurait être dévolue à personne. La conscience morale nous est trop intime pour s’ouvrir toute grande à d’autres qu’à nous.

Aussi est-il juste de penser, qu’une chaire de philosophie n’est