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revue générale. — l. dauriac. Moralistes anglais.

volonté est absolument bonne, qu’en elle réside le bien par excellence, que pour se rendre capable de bonne volonté, un seul moyen est en notre pouvoir : la bonne volonté elle-même. Est-il exact de prétendre que le concept de bonne volonté ne suffit pas à lui seul, que c’est un concept sans objet, un terme destitué de sens ? Les adversaires de Kant l’ont dit, les adversaires de Green le diront encore.

À les entendre, le mot devoir, chez Kant, ne signifierait rien. Sa loi, son devoir, son impératif catégorique, seraient autant de mystères, autant de notions inintelligibles. Voilà l’éternel refrain dont on a bercé nos oreilles et sur lequel on n’a point encore fini de broder les variations. Une morale exclusivement formelle se condamne à l’impuissance. Kant ne s’en est pas explicitement rendu compte. Comme bien des philosophes, même des plus grands, il ne nous a pas livré tous ses secrets, il a gardé pour lui ses pensées de derrière la tête, à supposer même qu’il les ait toutes nettement aperçues. Les fautes de composition se rencontrent dans la Critique de la Raison pratique : on dirait que l’auteur tâtonne, et qu’à mesure qu’il avance, il sent le terrain se dérober sous lui. Un éminent critique prenait plaisir, tout récemment, à nous montrer combien le génie de Kant est capricieux et sujet à de fréquents sommeils. À vrai dire, quand on a lu le réquisitoire de M. Fouillée, on se demande s’il n’a point sommeillé toujours. Encore une fois, Kant veut être lu entre les lignes ; par de là ce qu’il dit, il faut chercher ce qu’il a voulu dire, il faut pénétrer jusqu’au « noyau obscur » de sa pensée, y porter la lumière. Ce n’est pas toujours chose facile que d’entrevoir la pensée de Kant à travers les écrits de Kant, et la tâche mériterait d’être entreprise si d’autres ne s’en étaient déjà chargés.

Allez au fond des choses et demandez-vous ce qu’est la bonne volonté. Aussitôt de cette notion, soi-disant vide, d’autres notions vont se dégager, d’abord celle d’activité raisonnable, puis celle de vertu, c’est-à-dire de prudence, de force d’âme, de tempérance. On reproche à Kant d’avoir rendu synonymes les termes volonté et raison. Peut-être avait-il tort de ne pas entendre la raison comme il l’avait fait dans la première de ses Critiques et d’y voir autre chose qu’une faculté intellectuelle. À coup sûr il parlait selon l’expérience commune et selon la sagesse antique, quand il ne séparait point la bonne volonté de la volonté raisonnable. Et qu’on ne demande plus ce qu’est une volonté que la raison inspire. Les Grecs depuis Socrate ont déjà répondu.

En résumé, l’impératif moral est inconditionnel, mais il ne l’est pas exclusivement dans sa forme. Il nous oblige inconditionnellement, à la poursuite d’une fin, à la réalisation d’un idéal. Cet idéal est la vertus suprême, désirable, et l’on ne devient vertueux que par la pratique constante de l’abnégation, self devotion. On aurait mauvaise grâce à prendre ces mots pour les pseudonymes d’une bonne volonté soi-disant inintelligible ou d’un impératif vide de tout commandement. D’abord, même chez Kant aussi bien que chez Green, on peut contester que le mot