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fois, chez nous, par M. Paul Janet. L’analyse de l’idée, commencée par l’éminent philosophe français a été poussée aussi loin que possible par le professeur d’Oxford, Son eudémonisme est franchement anti-égoïste. Il n’est pas davantage altruiste, du moins au sens étroit du mot. Car la poursuite du bonheur d’autrui, objet de la loi morale, ne saurait se confondre avec la recherche des plaisirs d’autrui. Je suis tenu d’aider à votre bonheur et de vous rendre de plus en plus accessible aux joies dignes de l’être raisonnable. Je ne puis même vouloir mon bien sans vouloir le vôtre. Mais je ne suis nullement tenu à vouloir votre plaisir. Aux yeux de la raison, égoïsme se confond avec altruisme et cela se comprend, car devant l’humanité disparaît l’homme, et le bien de l’humanité est aussi stable que le sont ses caractères spécifiques.

La bonté morale est le dévouement à un idéal, à l’accomplissement d’une fin universelle. L’idée de cette fin est un divin principe d’amélioration dans l’homme. C’est un principe de perfectionnement dans l’individu, et ce perfectionnement exige l’état social. L’individu est inséparable de la société tout aussi bien que la société est inséparable de l’individu. Le progrès de l’humanité explique celui des personnes, et réciproquement. Kant n’a-t-il pas dit que la société parfaite n’était possible que par une réunion de personnes, se traitant les unes les autres selon le principe de la fin en soi ? Cette fin consiste à faire descendre en quelque sorte l’idéal moral de la conscience divine dans la conscience humaine : c’est donc un idéal absolu, inconditionnel, et la loi qui nous oblige à graviter vers lui est une loi inconditionnelle.

Une loi morale oblige l’homme. L’impératif catégorique lui impose un but ; quand il arrive au but, il est en possession du vrai bien. Ce bien est le même pour tous les hommes ne pouvant nier les caractères de l’espèce humaine, réalisée en chacun de nous, doivent nécessairement s’accorder sur l’existence d’un bien universel. — Quel est ce bien ? C’est, nous dit-on, la bonne volonté, la volonté du bien absolu. — Vous tournez dans un cercle. Vous aboutissez à l’identité stérile : Bien = Bien. Mieux vaut l’utilitarisme : non seulement il nous invite à l’action, mais encore il nous trace un ou plusieurs plans de conduite. — Green avoue que le cercle est inévitable. Cherchez à vous rendre compte de ce que peut être un agent moral gravitant vers un idéal de perfection, et vous serez contraint de dire que la bonne volonté est l’unique moyen d’arriver au but. Il y a plus, vous devrez ajouter que la bonne volonté est la fin et le moyen de tout développement moral. Tout à l’heure on semblait vouloir éviter le formalisme, maintenant on y revient ; on voulait définir le bien, éclairer la notion de bien par celle de bonheur, au fond on met un mot à la place d’un autre. Bien = Bonheur. Mais quel est le secret du bonheur ? La bonne volonté ? Puis-je donc vouloir dans le vide, et s’il faut à tout prix que je veuille quelque chose, que dois-je vouloir ?

Sans doute la loi, l’idéal moral sont formels. Green le dit et insiste. Mais le sont-ils exclusivement ? Il est exact de soutenir que la bonne