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notices bibliographiques

allumette réelle, connues toutes deux par les sens et les renseignements que nous avons sur elles. En considérant la meule et en apercevant un changement, nous recherchons intuitivement une cause, et en pensant aux propriétés de l’allumette, nous décidons qu’elle a été propre à être cette cause. Nous avons ainsi partout des réalités, à la fois dans les objets et dans leurs relations. »

Il est inutile de suivre M. Mc. Cosh dans toutes ses critiques, je me bornerai à dire qu’il est plus favorable à la morale de Kant qu’à sa métaphysique, mais qu’il ne craint qu’en ruinant la valeur de la raison, on ne ruine aussi la morale. Il ne voit dans les antinomies que des contradictions de nos jugements sur les choses, et sur la question de l’existence de Dieu, tout en se montrant peu attaché à l’argument ontologique et à l’argument cosmologique, il veut conserver le dernier argument, l’argument téléologique ou physico-théologique.

M. Mc. Cosh termine son étude par des considérations générales. Il se plaint que Kant ait ouvert la voie, par sa théorie de la connaissance, à l’agnosticisme moderne. « Nous savons tous que Locke, quoique réaliste déterminé, établit des principes qui conduisirent logiquement à l’idéalisme de Berkeley. De même Kant, quoique n’étant pas certainement agnostique, a établi, dans sa théorie des phénomènes, un principe qui a logiquement abouti à l’agnosticisme. » Il veut donc que, tout en étudiant la philosophie de Kant, on garde son jugement libre et il déplore l’entraînement actuel vers le criticisme. D’ailleurs il ne veut pas qu’on adopte plutôt exclusivement une autre philosophie. « J’ai surtout, dit-il, dissuadé nos jeunes gens de transplanter en Amérique la philosophie allemande dans son intégralité. Mais je souhaite aussi peu qu’on y transplante la philosophie écossaise. Il est temps que l’Amérique ait une philosophie qui lui soit propre (of its own). Que sera cette philosophie, M. Mc. Cosh n’avait pas à le développer. Il indique quelques grandes lignes, et semble conseiller une sorte d’éclectisme critique. « Connaissons et considérons les grandes vérités qui ont été trouvées avant nous, mais que ce soit pour nous rendre clairement compte de leur nature et les séparer des erreurs auxquelles elles ont été jointes. »

Je n’ai pas à critiquer longuement l’étude de M. Mc. Cosh. Je crois que ses doctrines seront généralement trouvées insuffisantes. Je crois aussi que ce sera avec raison. Si la théorie du phénomène et du noumène est une théorie imparfaite, si la théorie de la connaissance de Kant n’est pas définitive, si l’agnosticisme contemporain, si la théorie de Herbert Spencer sur l’inconnaissable et ses manifestations n’est pas de nature à satisfaire, et tout cela peut, à mon avis, se soutenir par de bonnes raisons, cependant nous ne gagnerons guère à les remplacer par le réalisme de M. Mc. Cosh.

Fr. Paulhan.