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ancien prestige, C’est qu’on s’est fatigué de regarder le monde à travers le prisme des Berkeley et dés Kant, Autrefois, c’est-à-dire, à la fin du xviiie et au commencement du xixe siècle, on partait du sujet comme centre, pour de là rayonner dans l’univers : aujourd’hui on veut sortir de soi et se placer au centre du monde objectif, on se suppose Dieu et l’on écrit un roman cosmogonique qu’on appelle histoire de l’univers. Green à moins d’ambition. Il resté homme et n’exige point que, pour connaître le réel, l’esprit fasse abstraction de ses lois propres. Il reconnaît ses lois, et leur influence. À Ses yeux, connaître, c’est composer le monde de l’expérience, c’est grouper des sensations, c’est former des touts. La connaissance a pour objet des relations. Expliquer la connaissance n’est donc possible que dans et par l’esprit, dont les lois se confondent avec les lois des choses. Green est donc idéaliste et d’un idéalisme qui ne souffre aucun tempérament. Il supprime les noumènes dont l’existence, au moins dans la Critique de la Raison pure, était toute surérogatoire, Mais alors le phénomène reste l’humble serviteur de l’esprit, et c’est nous qui créons la matière et la forme de la connaissance ? L’égoïsme métaphysique serait-il la vérité ? — Non. À l’idéalisme subjectif de Fichte, Green préfère l’idéalisme objectif. Si le monde n’est que ma représentation, en me supprimant je lé supprimé ; or cela est inadmissible. D’abord lé monde existe hors de moi : les choses sont d’une manière, et je les perçois d’une autre. L’être et le paraître s’opposent, la réalité objective et la réalité subjective sont deux. Comment rester d’accord avec le sens commun et fidèle à l’idéalisme ? Malebranche et Berkeley nous en ont enseigné la méthode. Ch. Secrétan a là-dessus une page profonde et qui résumerait en termes remarquablement exacts, la théorie du professeur Green : « En demandant ce « que sont les choses en elles-mêmes, en prétendant les voir telles qu’elles sont, sans y rien mettre « du notre, nous nous proposerions un problème contradictoire, car il reviendrait à vouloir nous représenter quelque chose qui ne fût point une représentation, à prétendre percevoir sans percevoir[1]. » Voir « la chose comme elle est, dit encore M. Secrétan, ce serait la voir comme Dieu la voit. Le principe de l’objectivité des choses doit être cherché en Dieu. — Ainsi pense l’auteur des Prolegomena. Au-dessus de l’esprit humain est l’esprit divin, conscience éternelle et complète dont la nôtre est comme une émanation, un reflet.

Pourquoi chercher en Dieu l’origine de notre conscience ? Pourquoi ne pas admettre qu’elle prend sa source dans les faits de l’ordre biologique, que son apparition est soumise aux lois de tout ce qui apparaît, c’est-à-dire à la nécessité d’avoir sa cause dans ses antécédents ? Parce que dans le monde externé, les faits se juxtaposent et que les événements d’aujourd’hui y font suite aux événements d’hier. Tout autrement se comporte la conscience humaine. Elle n’est point juxtaposée aux évé-

  1. Principe de la morale, p. 90.