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Voici l’application qu’en fait M. Ebbinghaus. Au moyen des consonnes simples, et des onze voyelles et diphthongues de l’alphabet allemand, il forme toutes les syllabes possibles renfermant une voyelle entre deux consonnes ; il réunit ensuite ces syllabes en séries ; et il s’agit de se les mettre dans la tête par la simple lecture à haute voix, jusqu’à ce qu’on puisse les reproduire une première fois, sans hésitation aucune. Ce matériel a l’avantage d’être simple et relativement uniforme.

Chose étrange, au point de vue de la prise qu’elles offrent à la mémoire, les séries présentent des différences considérables et presque incompréhensibles. Il semble même que la différence, à cet égard, entre une série dépourvue de sens, et une série significative, est loin d’être aussi forte qu’on pourrait s’y attendre. Du moins les résultats obtenus par l’étude des stances du Don Juan, de Byron, n’ont pas présenté à M. Ebbinghaus des écarts notables.

Le jeune professeur a commencé ses expériences dès 1879. On ne peut assez admirer la patience et la sagacité dont il a fait preuve, la patience surtout. Conçoit-on quelque chose de plus fastidieux que d’apprendre par cœur tous les jours des séries de syllabes incohérentes, et de noter, pour ainsi dire heure par heure, leur effacement dans le souvenir ? C’est là cependant ce que M. Ebbinghaus a fait ; et, ajoutons-le, c’est presque toujours l’Allemagne seule qui produit de ces pionniers humbles et infatigables, consacrant leur temps et leurs forces à aplanir les premiers abords des terres inconnues.

Une première question à examiner, c’était de voir si les résultats obtenus avaient réellement le degré voulu d’exactitude. M. Ebbinghaus a fait à ce sujet deux catégories d’expériences. L’une de 92 essais : chaque essai comportait 8 séries de 13 syllabes chacune. Les expériences lui ont demandé, y compris le temps nécessaire à la reproduction, 1112 secondes par essai ; avec une erreur probable de 76 secondes.

Le lecteur peu familiarisé avec le calcul des probabilités doit se résigner à ignorer la signification de ce dernier terme. Il n’en saisira pas moins bien l’idée fondamentale du travail que nous analysons ici.

Une seconde suite de 84 essais, de 6 séries à 16 syllabes chacune, a exigé une moyenne de 1261 secondes par essai, avec une erreur probable de 48 secondes. Comme on voit, si les résultats sont loin de présenter l’exactitude requise dans les expériences de physique, ils peuvent néanmoins soutenir la comparaison avec les essais physiologiques.

En prenant la moyenne des temps employés respectivement pour étudier la 1re, 2e, 3e série de chaque essai, on est conduit à une conclusion singulière. La première série s’apprend le plus facilement, ce qui était à prévoir. Mais, hormis un seul cas, toutes les séries d’essais donnent pour le temps des valeurs alternativement grandes et petites. Il faudrait en conclure une sorte d’oscillation périodique dans l’attention. Observons encore que toujours la dernière série de chaque essai