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rations ont à peine suffi pour leur donner le point de perfection auquel ils sont arrivés aujourd’hui. Les cornes, par exemple, qui se sont développées si tard, de quelle utilité étaient-elles auparavant à ces milliers d’individus de la race des ruminants ? Il est vrai qu’en parlant du cou de la girafe, Darwin dit qu’à chaque génération il a augmenté d’à peu près deux pouces ; il arrive à ce résultat trompeur en confondant la variation phylogénétique avec la différence individuelle.

M. Naegeli substitue, comme on le voit, une autre supposition à la supposition de Darwin. En réalité, l’accentuation par la suite des modifications inutiles sous leur forme naissante, qui est une objection très grave au Darwinisme, et reste un mystère couvert par des mots dans la théorie de M. Naegeli, nous semble avoir été expliquée d’une manière complète par M. Delbœuf. La loi mathématique qu’il a découverte et exposée dans la Revue scientifique du 13 juillet 1877, lève toute difficulté à cet égard. D’après cette loi, il suffit qu’il y ait une cause permanente, si faible qu’elle soit, tendant à introduire une modification, pour que celle-ci se réalise forcément ; et donnez-lui le temps, les individus modifiés finiront par surpasser en nombre les individus non modifiés, et par conséquent par les faire disparaître.

D’après la théorie de la sélection, continue M. Naegeli, toute l’organisation est le résultat des causes nutritives ou des causes extérieures. Mais il y a deux espèces de causes : l’une fournit la force et la matière (nourriture), l’autre dirige l’activité organique. Les accommodations ne sont pas le résultat des influences nutritives. Celles-ci devraient produire des commencements d’organes partout où c’est possible, jusqu’au moment où l’utilité va parler. C’est ainsi que, chez les ruminants, on devrait rencontrer des commencements de cornes, non seulement sur la tête, mais sur tout le corps. La théorie du plus apte est également contredite par les faits de la nature. Dans le domaine des plantes, les particularités morphologiques les plus singulières ne présentent pas la moindre utilité.

VII. Dans ce chapitre, l’auteur montre comment les deux grands principes de sa théorie, le perfectionnement et l’accommodation, sont en rapport avec les faits de la nature. Il fait précéder l’histoire du développement des règnes par une construction théorique du règne qui a précédé celui des plantes et des animaux. Il nous montre la formation de la cellule avec ses propriétés caractéristiques croissance par intercalation de micelles, arrangement de ces dernières, séparation des cellules et formation libre de cellules à l’intérieur. Toutes ces qualités ont été transmises aux plantes. Les plantes les plus simples sont des cellules de forme ronde qui se reproduisent par division ou par formation libre. Le fait que les nouvelles cellules ne se séparent pas pour former des individus isolés donne naissance aux plantes polycellulaires. Dans ces phénomènes phylogénétiques, on remarque les tendances de la plante à réunir en un corps composé les parties, qui à un degré inférieur se détachaient pour avoir une existence séparée.