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conception, fondée, il convient de le répéter, sur des faits expérimentalement établis. M. Beaunis expose avec netteté ces conclusions psychologiques ; on peut les résumer d’un mot : tout processus psychique est la résultante de deux actions contraires, une action impulsive, une action d’arrêt. « Cette hypothèse, écrit l’auteur, éclaire d’un jour nouveau le mécanisme des fonctions psychiques et permet d’interpréter un grand nombre de faits qui, sans cela, restent absolument inexplicables. Je ne suis pas le premier, d’ailleurs, à faire jouer aux actions d’arrêt un rôle dans les phénomènes de cet ordre. On a dit déjà que la volonté est une action d’arrêt. Mais jusqu’ici, à mon avis, le problème n’a pas été envisagé à son véritable point de vue, et c’est là surtout ce que je voudrais indiquer.

« Le fait essentiel, primordial, qui domine toute la question, c’est cette dualité qui se trouve au fond de tout acte psychique, c’est cette double tendance, à l’activité d’une part, à l’arrêt de cette activité d’autre part, qui fait que l’acte psychique n’est que la résultante de ces deux tendances contraires.

« Transportez cette action d’arrêt dans le domaine de la conscience, traduisez-la en langage philosophique, et vous aurez l’hésitation qui accompagne un mouvement volontaire ou une détermination intellectuelle ; dans la sphère émotive, vous aurez les fluctuations et les alternatives de la passion, ou, dans la sphère de la spéculation pure, les réserves du doute métaphysique. Notre vie intellectuelle n’est qu’une lutte perpétuelle entre ces deux tendances, impulsion et arrêt ; homo duplex. » Ce n’est pas seulement la vie mentale, en général, que M. Beaunis explique de cette façon ; il montre aussi comme la notion des actions d’arrêt rend bien compte de nombre de faits particuliers, et, par exemple, de la plupart des phénomènes observés dans l’état hypnotique.

On peut saisir maintenant le rapport qui unit les trois mémoires publiés par M. Beaunis et voir comme ce rapport est étroit. Il s’agit d’abord d’étudier les effets de l’activité mentale, et pour cela, de déterminer pour ainsi dire l’équivalent chimique du travail cérébral ; puis l’analyse va plus avant et essaye de fixer les conditions dans lesquelles se produit cette activité : de là les recherches sur la durée des sensations ; enfin par l’étude sur les phénomènes d’arrêt, nous pénétrons dans la connaissance du fonctionnement intime de la substance nerveuse.

Aussi M. Beaunis n’a-t-il pas tout à fait raison quand il dit, dans la préface de son livre, que la psychologie physiologique n’a jusqu’ici en France pas un laboratoire. Officiellement cela n’est que trop vrai ; mais lui-même, par ses propres efforts, il a su faire de son laboratoire un endroit où l’on s’occupe assidûment de toutes ces questions et d’où il sort des travaux, précieux pour la constitution définitive, et utiles aux progrès de cette science nouvelle[1].

Eugène Gley.

  1. V., dans la Revue phil. de novembre 1881 et dans celle d’août 1882, l’analyse d’autres travaux de psycho-physiologie, faits dans le laboratoire du professeur Beaunis.