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exiger qu’un roman soit de l’histoire), peut suffire à une œuvre littéraire. Je n’hésite pas à répondre oui et à admettre la légitimité du roman naturaliste, en reconnaissant d’ailleurs que nous n’en n’avons que peu d’échantillons, car bien souvent personne n’est moins naturel que les naturalistes. Il est facile, en effet, de voir quel est l’avantage du naturalisme sur l’idéalisme et comment, quoi qu’il puisse sembler, il est plus facile d’arriver à l’art, à la beauté artistique par le naturalisme. Un système est d’autant plus parfait qu’il contient plus d’unité et aussi plus de diversité. Or, il est très difficile d’être idéaliste sans sacrifier complètement la complexité à l’unité. On supprime, sans le remplacer, tout un ordre et même plusieurs ordres de sentiments, de passions, d’intérêts, de sensations et d’idées. Il reste des personnages abstraits qui ne peuvent être rendus vivants que par la force du génie. Il est bien plus difficile, au contraire, de sacrifier complètement l’unité à la complexité. Ce que la réalité, prise dans son ensemble, offre de moins harmonieux que la réalité épurée, peut être racheté par différents moyens, selon les différents auteurs, soit par la composition du roman, soit par la mise en lumière du déterminisme profond et caché des faits, des idées et des actes, soit par le plus grand nombre de systèmes secondaires mis en lumière forcément, grâce à la complexité plus grande, car il est bien sûr que, dans une œuvre d’art, cette complexité ne peut jamais consister à accumuler, sans liens et sans lois, des détails hétérogènes et quelconques. Il peut arriver que cette loi ne soit pas formulée ni montrée par l’auteur, mais c’est à la seule condition que le lecteur sera, consciemment ou non, capable de le deviner. On voit que l’œuvre, en somme, peut gagner beaucoup en systématisation à se rapprocher de la réalité.

Si nous examinons les faits, nous voyons qu’ils viennent en aide à la théorie. Il ne faut pas chercher beaucoup pour trouver les mauvais effets de l’art qui cherche à plaire aux sentiments élevés du public, et pour remarquer que ce qu’on appelle le personnage sympathique est un personnage exsangue, sans couleur et sans vie, qui, à cause de sa simplicité banale, manque absolument de valeur artistique. Et cela nous explique que, dans les personnages littéraires célèbres, dans les types remarquables qu’il est possible de citer, le nombre des personnages sympathique, idéals et purement vertueux, soit assez faible si on le compare à celui des personnages plus réels. Il est facile, d’ailleurs, de faire la comparaison entre les deux genres de types dans le même auteur et dans le même ouvrage, et l’on voit vite combien le type le plus vrai est supérieur à l’autre, en général. Comparez, par exemple, dans le théâtre de