Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/649

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
645
L. ARRÉAT. — la philosophie de la rédemption

déjà que l’athéisme est ici une nouvelle formule de la séparation de l’immanent et du transcendant. Dieu est cette unité d’avant le monde, qui est morte en enfantant le monde. De même, d’ailleurs, que la négation métaphysique n’atteint pas l’existence en soi de l’unité, mais seulement sa forme d’existence, de même l’athéisme se borne à nier la divinité personnelle (Göttheit), et il est aussi un déisme, puisque le philosophe retrouve Dieu (Gott) à travers le monde. La divinité portait en soi les déterminations auxquelles obéissent aujourd’hui les individus, ainsi que toutes les religions déistes l’enseignent ; mais le dieu personnel de ces religions, le dieu taillé à l’image de l’homme s’évanouit, et il ne reste que l’affirmation d’un être pure force et inconnaissable, dont la volonté seule est partout manifeste. Dieu est saisissable pour nous comme rapport, comme loi. Énigmatique reste pourtant la manière d’être de l’unité primitive. « Une philosophie absolue, pour laquelle la raison dernière du monde ne serait plus un secret, est impossible. »

Comment le philosophe demeure-t-il chrétien avec cela ? Comment la religion chrétienne est-elle un athéisme ? On le va voir dans l’interprétation curieuse donnée par Mainländer du dogme de la Trinité, ce dogme qui est le noyau, dit-il, de la doctrine du Christ.

Le symbole d’Athanase semble d’abord absurde, avec ses trois personnes qui sont distinctes et également divines, et qui sont éternelles toutes trois, quoique la première ait engendré la seconde, dont procède la troisième. Cette absurdité n’est qu’apparente. Elle tombe, dès qu’on explique le dogme. Dieu n’a pas été créé ; son être réside au delà de l’expérience ; il est transcendant, insaisissable pour l’esprit humain. Le fils a été engendré par le père ; il est venu après le père, et il est le père en vertu du lien génétique, c’est-à-dire le sang de son sang. Il est immanent ; il est l’humanité, née de Dieu, venu après Dieu, et vraiment de même essence, car elle ne contient rien que ce qui était en Dieu. Mais le père est passé tout entier dans le fils, et il est mort quand le fils a commencé de vivre. Nous n’avons plus affaire, par conséquent, à deux personnes coexistantes, mais à deux personnes successives, qui peuvent être considérées comme une seule. C’est pourquoi Christ avait raison de dire : « Le père est plus grand que moi. » L’unité avant le monde ne contenait-elle pas la pluralité du monde ? L’Esprit enfin procède du fils. Le fils, le monde est un devenir ; le mouvement de ce devenir, le chemin de Dieu vers son but, c’est l’esprit : il est en quelque sorte « la diagonale du parallélogramme des forces. » S’il procède du fils, il procède également du père, puisque la raison du lien dynamique des choses est en Dieu, et l’Église latine n’a pas motif de dis-