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L. ARRÉAT. — la philosophie de la rédemption

ait l’idée, la représentation de quelque chose ? Bref, Hegel conçoit l’absolu comme logique, Schopenhauer le conçoit comme volontaire et illogique, M. de Hartmann à la fois comme raisonnable et irraisonnable. Ainsi l’inconscient est pour ces derniers la figure de l’inconnu mystérieux. Philosophe de l’immanent, Mainländer remet cet inconscient en sa vraie place, en nous-mêmes, dans notre sang. Schopenhauer a eu le mérite immense, selon lui, d’enseigner que l’homme est l’union d’un vouloir primaire inconscient et d’un intellect secondaire conscient ; pourtant il a commis la faute d’opposer l’intellect au vouloir. Comment accepter cette opposition, puisque l’intellect est fonction du vouloir ? La volonté n’est plus un principe psychique ; mais la volonté de connaître, s’objectivant, est le cerveau, comme la volonté d’aller est le pied, la volonté de digérer, l’estomac. « Le sang ! le sang ! c’est là le plus grand secret de la nature et le vrai inconscient. » Le sang meut le cerveau, et la conscience y apparaît. Elle n’est point cette « stupéfaction du vouloir devant la représentation qu’il sent et qu’il n’a pas voulue » que nous dit M. de Hartmann, et la « représentation inconsciente » de ce philosophe est un contre-sens. Si l’esprit fonctionne inconsciemment, nos représentations, nos idées, nos sentiments sont pourtant toujours conscients, et il est vrai seulement que plusieurs représentations ne peuvent passer à la fois au foyer lumineux de la conscience.

La poussée sanguine (le Trieb), le mouvement de notre cerveau, voilà donc l’inconscient, et nous ne savons rien du transcendant, puisque son action, désormais passée en nous, échappe à notre conscience. D’un côté, il est contradictoire d’admettre une volonté en puissance, un esprit en puissance, c’est-à-dire inactifs, puisque le mouvement est l’attribut nécessaire de la volonté et de l’esprit. D’un autre côté, la volonté et l’esprit sont des principes immanents que nous ne sommes point autorisés à transporter à l’être d’avant le monde pour les besoins de nos déductions. Nous pouvons dire seulement que nous comprenons le monde comme si il avait été le résultat d’un acte de volonté, et la question métaphysique est réduite alors à demander, avec l’ignorant et le savant, pourquoi Dieu a créé le monde, pourquoi il n’est pas demeuré ce qu’il était au delà des temps, pourquoi enfin, voulant le non-être, il ne s’est pas anéanti d’un seul coup. Mais, pour être libre de toute contrainte extérieure, Dieu n’était pas libre de toute détermination personnelle. Il reconnut qu’il lui fallait passer, pour arriver au non-être, à travers le monde de l’immanence, et nous devons interpréter ce monde comme l’accomplissement de la résolution du Dieu primitif à ne pas être. On peut contester cet empêchement de Dieu à