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taisie humaine ; quelque chose existe pourtant en dehors, qui oblige le sujet à l’objectiver comme beau, et cette essence du beau est le « mouvement harmonique » des choses, mouvement qui apparaît, en entrant dans les formes du sujet, symétrie dans l’ordre de l’espace mathématique, grâce des mouvements dans l’ordre de la causalité, couleur et son dans l’ordre de la matière, rythme dans l’ordre du temps. Il y a donc un sens commun du beau. « Le pur sens du beau ne se trompe jamais. Il préfère le cercle au triangle, la mer méditerranée à la mer du nord, un bel homme à une belle femme, et il ne peut juger autrement, car il juge d’après des lois fixes et invariables. » Le laid, dans cette théorie, est ce qui ne répond pas aux lois du beau subjectif ; mais le laid peut encore être considéré esthétiquement. Le réalisme va de pair avec l’idéalisme : celui-ci envisage de préférence les beaux objets, celui-là les marques individuelles saillantes. La seule condition à imposer au réaliste est d’idéaliser les caractères auxquels il s’attache, de les tremper « dans le flot purifiant du beau subjectif ».

J’aurais aimé à suivre notre philosophe dans son analyse du comique, où il fait preuve de beaucoup de finesse. J’ai dû m’en tenir à ce qui intéresse principalement le pessimisme, et l’on sait combien l’état esthétique lui importe. L’art nous procure le bénéfice de cet heureux état ; il ne saurait pourtant nous faire goûter le plein repos dont nous y prenons un avant-goût. Il faut pour cela nous adresser à l’éthique.

Son hypothèse initiale fournit déjà à la philosophie immanente la solution du problème de la liberté morale. La liberté a été avant le monde, et la nécessité règne dans le monde. Le monde est bien un acte libre, mais tout y arrive avec nécessité, et le transcendant est ici la figure de toutes les causes déterminantes antérieures. Cela n’empêche pas que l’homme ait le pouvoir de se faire des idées, qui deviennent ses motifs, et d’imaginer un bien général sous l’impulsion de son désir du bonheur, c’est-à-dire de reconnaître un bien à venir plus grand auquel il sacrifie un bien actuel inférieur. Car l’homme reste toujours égoïste. La conception d’un bien général est née au cours de l’expérience sociale ; les termes de justice et d’injustice n’ont de sens que dans l’état social et le seul besoin d’une garantie réciproque a donné naissance aux lois de l’État. Mainländer est un hédoniste et il se déclare franchement contre la doctrine de l’acte désintéressé de Kant et de Schopenhauer.

Jusqu’ici c’est une morale toute positive. Nous arrivons à ce tournant du chemin où le philosophe, cessant de décrire le phénomène pour ce qu’il est, se laisse aller à le juger en moraliste sentimental,