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L. ARRÉAT. — la philosophie de la rédemption

reposeraient sur les gaz et les solides seraient portés sur un océan fluide. Pour la théorie de la gravitation, elle en renverse les termes. Et d’abord l’obscure force d’inertie devient explicable par ce déchirement de l’unité primitive, qui a donné la première impulsion, fameuse chiquenaude. Puis, à la place de la force d’attraction et de la force tangentielle, mettons les inclinations, les désirs des diverses idées chimiques, et nous aurons alors, d’un côté la somme des désirs des corps individuels à avancer vers le centre du soleil, de l’autre la force expansive des gaz du soleil, qui s’oppose à ces désirs les manifestés par la pesanteur. Les effets demeurent les mêmes, actions ont changé de sens. « Tandis que, dans la théorie de Newton, la terre, en vertu de sa force tangentielle, fuit le soleil, et que le soleil, en vertu de la force d’attraction, attire à soi la terre, la terre à présent se précipite vers le soleil, et le soleil la repousse[1]. »

En somme, le déchirement, la dispersion de l’unité primitive nous apprend tout ce qu’il est possible de savoir sur l’origine du monde ; celle de l’homme serait à chercher dans une direction nouvelle de la volonté. Mais la division amène l’affaiblissement, et, dans le règne organique où elle est poussée à l’extrême, le combat pour l’existence et la diminution de la force sont aussi les plus accusés. Si le monde est indestructible la quantité de force qu’il contient ne s’affaiblit pas moins d’une manière continue.

Poursuivons. La psychologie propre est réduite par Mainländer à une étude des « états du vouloir ». L’état fondamental, c’est le sentiment de la vie, et les autres sont de simples modifications de celui-là. L’état esthétique est aussi un état particulier de notre vouloir, qui mérite la plus grande attention. La philosophie immanente y voit une relation où l’homme se trouve « désintéressé » devant l’objet, quoique l’objet demeure pour lui intéressant ; elle y distingue la contemplation esthétique, état de repos dont les têtes d’ange aux pieds de la madone de Saint-Sixte nous offrent un admirable modèle, et la sympathie esthétique, état où notre volonté s’associe à celle de l’objet, comme quand on écoute, par exemple, le chant d’un oiseau. D’après cela, toute chose peut être vue esthétiquement, si toute chose n’est point belle. Qu’est-ce que le beau ? Mainländer réserve l’attribut de la beauté aux créations de la fan-

  1. Rappelons ici l’hypothèse cométaire de M. Faye et surtout la théorie du dynamisme atomique de Mme Clémence Royer, où le jeu du monde résulte des actions répulsives de la matière pondérante (éther) sur la matière pondérable. De même l’hypothèse du décroissement de la force, de notre Mainländer, reproduit sous une autre forme la loi de Clausius touchant l’épuisement continu du mouvement au profit de la chaleur dans un système fermé.