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Il a l’ambition de nous donner cette nouvelle hypothèse pour une conséquence de sa physique et de sa métaphysique. Tenons-la dès à présent pour posée et voyons l’usage qu’il fait de ses trois principes dans l’interprétation des diverses sciences particulières. Il est toujours curieux d’examiner jusqu’à quel point un tel système d’ensemble réussit à se mouler sur la réalité, à rester dans l’ordre de certaines vérités de sens commun.

II

Dès que la volonté est partout, partout est la vie, et avec la vie le mouvement. Le vouloir-vivre est l’essence du mouvement, et il doit être défini une impulsion originelle aveugle et puissante qui devient, par la division de son mouvement, sentante, connaissante, consciente. Les questions d’origine se simplifient aussitôt et la notion des êtres se précise.

Considérés indépendamment du sujet qui perçoit, les êtres sont, en vertu de l’analyse précédente, des idées pures. D’autre part notre hypothèse seconde place le centre de gravité de chaque idée dans l’individu réel, non dans l’espèce ; il n’y a que des individualités dans l’immanent, et l’espèce est un simple concept. On verra bientôt l’importance de cette considération. Il nous faut donc reconnaître, dans les objets de la nature, des êtres distincts, qui seront l’idée chimique, l’idée de la plante, l’idée de l’animal, l’idée de l’homme. Nul abîme ne sépare les deux règnes ; entre la pierre et la plante, il n’y a que la différence des organes exigés pour le mouvement. La volonté de la plante réside dans la sève ; celle de l’homme réside dans le sang : « notre sang, c’est notre démon ». Quant aux corps solides, liquides ou gazeux, ils manifestent également un effort, ou, si l’on veut, une inclination, un désir, et la seule intensité de l’effort produit entre eux les différences.

Les gaz s’anéantiraient, si rien ne limitait leur expansion ; les liquides, s’ils ne supportaient aucune pression ; les solides, s’ils étaient maîtres d’obéir à la pesanteur. Le monde ne peut se maintenir qu’autant que l’effort de chaque idée chimique ne trouve pas sa complète satisfaction, et il nous apparaît une collection d’innomblables idées individuelles qui agissent les unes sur les autres. Partant de cette conception du lien dynamique du monde, la philosophie immanente accepte d’emblée la théorie de Franklin, suivant laquelle les gaz occuperaient le centre de la terre, les liquides