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mouvements, mouvements considérés comme action, sphère d’action, force pure, lien dynamique du monde, etc., tandis que les réalités vulgairement dites matière, substance, temps, espace mathématique, etc., rentrent dans l’ordre des créations du sujet. Le monde, en un mot, est une somme de pures forces qui deviennent objet pour le sujet. Les catégories de Kant tombent en poussière. Ni le temps, ni l’espace mathématique ne sont des formes à priori de notre entendement ; ils sont des liaisons idéales à posteriori de notre raison. La loi de causalité, dans notre entendement, répond à l’action ; le point-espace répond à la sphère d’action, la matière à la force pure, l’activité synthétique à l’unité de chaque chose en soi, le présent au point du mouvement. Et ce sont là nos à priori. Puis viennent nos liaisons idéales, — temps, causalité générale, association, substance, espace mathématique, avec leurs termes extérieurs correspondants, — succession réelle, action d’une chose sur une autre, lien dynamique du monde, unité collective du monde, rien absolu.

J’aurais voulu épargner au lecteur tout ce détail. Mon rôle d’historien ne me le permet pas, et il nous faut même considérer d’un peu plus près quelques-unes de ces correspondances.

La loi de causalité est en nous, antérieure à toute expérience ; non moins certainement, quelque chose existe hors de nous, qui provoque et met en fonction notre entendement. Ni le sujet connaissant ne produit lui-même le monde, comme le voulaient Berkeley et quelquefois Kant et Schopenhauer ; ni le sujet ne perçoit le monde comme il est vraiment, et la position du réalisme naïf n’est pas tenable ; mais le monde est un produit, en partie du sujet, en partie d’un phénomène indépendant du sujet. Hors du sujet, il n’y a que la force, le mouvement. À notre fonction générale de causalité correspond d’abord une détermination réelle, l’action. Cette action s’exerce, d’autre part, dans une certaine sphère, et cette sphère est aussi une détermination réelle, à laquelle correspond, de notre côté, non pas encore l’espace mathématique, mais le point-espace, soit la faculté de limiter dans les trois directions les choses qui affectent les organes de nos sens (la réceptivité des sens étant une condition toujours sous-entendue). C’est ce point-espace qui est à priori ; quant à l’espace infini de Kant, il est le produit de notre raison, il est une liaison idéale à posteriori, et la détermination réelle qui y correspondrait cette fois serait le rien absolu. D’une manière générale, la fonction de notre entendement (Verstand) est de remonter de l’excitation à la cause ; celle de notre raison (Vernunft) est de redescendre de la cause à l’effet.