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L. ARRÉAT. — la philosophie de la rédemption

encore d’indiquer la position métaphysique toute particulière de l’auteur. Je me borne à bien marquer ici cette distinction de la chose en soi avant le monde et de la chose en soi dans le monde, sur laquelle il s’appuie pour édifier une philosophie qui sera immanente, puisque le monde (Welt) lui fournira sa matière et ses limites, et qui sera à la fois idéaliste, parce que les choses y seront considérées comme si, indépendamment de l’œil qui les voit et de la main qui les touche, elles étaient telles que l’œil les voit ou que les touche la main.

Mainländer accepte donc très franchement, en vertu même de sa première hypothèse, la réalité objective du monde. Mais il nous faut voir quelle figure il lui donné, et ce que sont pour lui nos notions de la substance, du temps, de l’espace, etc. ; bref, il nous faut exposer sa théorie de la connaissance. Son livre s’ouvre nécessairement (et c’est là un caractère qui peut servir à le classer) par une telle théorie et par la critique des catégories kantiennes. Il cherche à fortifier son hypothèse initiale par une analyse exacte des facultés du sujet ; cette hypothèse gouverne cependant sa théorie de la connaissance, et elle le fait par l’entremise de cette autre, qui lui est connexe, que l’objet opposé au sujet, que la chose en soi est pure force. Cette hypothèse seconde, l’auteur la présentera plus tard comme une conséquence de son « analytique », et revêtue d’une expression nouvelle ; mais il est assez évident qu’elle a présidé à son analyse de la cognition.

Songez, en effet, à ce qu’il adviendrait, si l’on attribuait la matière à la chose en soi transcendante, mise hors de notre portée, comme fait Locke. Du coup on aurait subtilisé la matière. Si le transcendant, au contraire, est pure force, cette force partout distribuée et agissante est notre objet, elle est cette chose du dehors qui excite le sujet connaissant, et le sujet reçoit cette excitation et réagit sous les formes de la matière, du temps, de l’espace, etc. La matière, l’espace, le temps prennent donc naissance dans notre tête, comme le voulait Kant ; et Mainländer invoque d’ailleurs, avec Schopenhauer, la loi de causalité pour faire cette réponse du sujet à l’objet, qui est le thème de la psychologie.

Locke, après avoir reconnu que les propriétés sous lesquelles nous entendons la matière sont « secondaires » en nous, avait bien compris que ces impressions secondaires nous viennent du dehors ; mais il laissait subsister, avec la force, une matière objective. Mainländer maintient la distinction établie par Locke de l’idéal et du réel ; seulement, pour lui, c’est la force qui est réelle, la matière qui est idéale, et sa théorie est celle-ci : que les « déterminations réelles » correspondantes à nos fonctions ou formes à priori sont de simples.