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la Handelsacademie dans les langues modernes et dans les sciences pratiques de la vie.

À l’âge de dix-sept ans, il partit pour Naples, sur la recommandation du directeur Odermann, pour s’y occuper d’affaires d’expertise, et il passa sept années en cette ville. Il avait renoncé, sur l’instante prière de sa mère, à entrer dans la marine autrichienne, et accepté de s’essayer au négoce. La lecture des écrits de Schopenhauer, qu’il découvrit à Naples dans la boutique de Detken, enflamma du premier coup sa jeune imagination et décida de sa destinée. Il était excessivement impressionnable ; il raconte quelque part que, se trouvant un jour à Sorrente, la mer bleue exerça sur lui une telle fascination qu’il s’y abandonnait sans volonté et eût péri dans les flots, si la venue fortuite d’un ami n’eût heureusement rompu le charme. Il était poète aussi ; il a laissé une trilogie dramatique sous le titre de Les derniers Hohenstaufen (Enzo, Manfred, Conradin), dont il traça l’esquisse sous le ciel napolitain même ; le drame était achevé dès 1866, il le publia seulement dix ans plus tard. Ses années d’Italie, qui furent ses « années d’apprentissage », se terminèrent par un séjour à Rome dans la compagnie de son jeune ami Helbig le fils. Revenu à Offenbach, il y aida pendant deux années à diriger la fabrique de son père, jusqu’à la mort de sa mère, survenue en 1865.

Libre des affaires, notre philosophe ébauche sa « Philosophie de la rédemption ». Il n’avait fréquenté aucune université, il avait été son propre maître. Les questions sociales le préoccupent ; il veut s’y préparer pratiquement et part, en 1869, pour Berlin, où il remplit jusqu’en 1872 un emploi dans la maison de banque du baron de Magnus, qu’il avait connu en Italie. De 1872 à l’automne de 1874, il vit à Offenbach et il y achève le premier volume de sa Philosophie. Sous l’empire de ses convictions nouvelles, il regrette d’avoir bénéficié de l’exemption légale du service militaire, et il s’engage comme simple soldat (il avait alors trente-trois ans) dans le corps des cuirassiers, ne s’y laissant dispenser d’aucune besogne pénible. En novembre 1875, il rentre chez lui, et, dans les cinq mois qui nous mènent au jour de sa mort (31 mars 1876), il écrit les douze Essais qui font suite à sa Philosophie, une autobiographie et un autre morceau destiné à sa sœur seule. Il laisse en mourant à cette sœur, femme distinguée qui garde le culte de sa mémoire (ils étaient les plus jeunes de cinq enfants), la lourde tâche d’amender et de publier ces Essais, sous la condition d’ajourner jusqu’en l’an 1900 la publication de son autobiographie, dans le cas où elle ne pourrait la faire de sa main[1].

  1. Le drame des Hohenstaufen est signé P. M. Mainländer, c’est-à-dire des initia-