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L. ARRÉAT.. — la philosophie de la rédemption

ouvrage vient aujourd’hui en grossir le dossier et donner à la doctrine un développement inattendu et un tour nouveau.

Cet ouvrage porte la signature de Philipp Mainländer. Batz était le nom véritable de l’auteur. Je n’ai pas à dire les motifs qui le lui ont fait abandonner, et parmi ces motifs je relèverai seulement son vif désir de dérober sa personnalité et de s’effacer derrière son œuvre. Nous conserverons donc au philosophe le nom qu’il a préféré et que du reste il avait acquis le droit de porter civilement ; j’allais dire « au malheureux philosophe », parce qu’il s’est donné la mort, à l’âge de trente-cinq ans ; et cependant cette expression ne m’est pas permise, parce qu’il a quitté librement le monde, dans la pleine paix de l’esprit et du cœur, et qu’il a voulu fortifier sa doctrine par l’exemple de ce renoncement à la vie. Nous avons devant nous, je le crois, une droite et noble figure, un homme docile à tout devoir imposé comme à celui qu’il se dictait à lui-même, doux et sévère, prompt à la sympathie. Sa générosité d’âme échauffe bien des pages de son œuvre, qui se distingue déjà par cela de l’œuvre froide et dure de M. de Hartmann, et l’on serait mal préparé à la lire si l’on n’avait d’abord sous les yeux le portrait de l’écrivain.

Philipp Mainländer naquit le 3 octobre 1841, à Offenbach sur le Main[1]. Offenbach, modeste bourgade de la banlieue de Francfort dans le temps où Goethe y visitait Lili, est aujourd’hui une ville fort active de 30 000 habitants, et M. Batz le père y dirigeait un établissement industriel. Notre Philipp montra de si heureuses dispositions dès ses premières études, faites à l’institut du prof. Becker, à Francfort, que ses parents se décidèrent à l’envoyer à Dresde, où l’académie de commerce dirigée par Odermann était peut-être alors la première institution de ce genre en Allemagne, et où le gymnase de la Kreuzschule jouissait aussi d’une grande réputation. Il y avait comme professeur à ce gymnase M. Helbig, père de l’éminent archéologue à qui l’on doit de si beaux travaux sur l’ancien art de la Campanie et des plaines lombardes, et Philipp Maindänder eut la bonne fortune de vivre dans la famille de M. Helbig en qualité de pensionnaire. Il trouvait encore à Dresde des maisons amies, entre autres celle du poète Gutzkow, où se réunissait une excellente société. Un critique des plus distingués de l’Allemagne, H. Hettner, dont il suivait les cours, s’intéressa particulièrement à lui ; il fréquentait volontiers le théâtre, et son éducation esthétique s’achevait de cette façon, en même temps qu’il poussait ses études classiques avec M. Helbig et qu’il s’instruisait à

  1. Le nom de Mainlaender rappelle le pays du Main où il est né, où il a vécu.