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G. TARDE. — le type criminel

d’une variété voisine parmi les personnes adonnées à cette carrière, et la statistique, en signalant cette fréquence, ne fera que révéler, suivant sa coutume, l’action d’une cause constante au milieu de causes variables, à savoir une influence permanente d’ordre naturel, mêlée aux influences multiples et multiformes d’ordre social qui poussent à l’adoption de la voie dont il s’agit. La réalité du type ainsi dégagé est donc certaine. Mais, en même temps, il ne faut pas plus, on le voit, que le passage d’un état social à un autre, c’est-à-dire qu’un changement survenu dans le nombre, la nature et les avantages ou les risques relatifs des divers métiers, pour faire dévier sensiblement la ligne de toutes les vocations même les plus décidées. Il n’est donc pas permis d’affirmer que tel homme, aujourd’hui voué au crime fatalement, l’eût toujours été et le sera toujours, parce qu’il est criminel de naissance. Personne, sauf quelques monomanes d’incendie ou de meurtre, ou quelques kleptomanes, qu’il faut se garder de confondre avec les criminels-nés, personne ne naît tout exprès pour tuer, brûler et voler son prochain. S’il eût existé des anthropologistes dans l’Athènes d’Alcibiade, il ne leur eût pas été mal aisé d’esquisser les linéaments typiques du pédéraste-né, de celui qu’une impulsion organique et irrésistible semblait précipiter, dès le berceau, dans cette aberration nationale de l’instinct sexuel. Ils n’étaient point rares, les Athéniens voués à cette habitude enracinée, comme nos récidivistes à celle du vol ou du meurtre. Nous savons pourtant que ce vice honteux, avant d’être devenu une tradition, j’allais dire une institution attique, avait commencé par être une mode importée du dehors, et qu’il a fini par s’en aller comme il était venu. Il ne faut donc pas trop se hâter d’expliquer physiologiquement ce qui peut-être a une explication en grande partie sociale.

M. Ferri lui-même nous fournit une considération à l’appui de notre idée. Pour répondre à l’objection que le type criminel se remarque, bien rarement, il est vrai, chez des gens honnêtes ou du moins sans condamnation judiciaire, il observe avec raison que la criminalité innée peut rester latente, et que les criminels-nés, auxquels l’occasion de commettre un crime a manqué, font pendant aux criminels d’occasion qui ne sont point nés pour le crime. « Dans les individus des classes élevées, dit-il encore, les instincts criminels peuvent être étouffés par le milieu (richesse, pouvoir, influence plus grande de l’opinion publique, etc.). Les instincts criminels se dissimulent sous des formes voilées, évitant le Code pénal. Au lieu de tuer avec le poignard, on poussera sa victime en des entreprises périlleuses ; au lieu de voler sur la voie publique, on trichera au jeu de Bourse ; au lieu de violer, on séduira et on abandonnera sa vic-