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au complet, ils y sont clairsemés ; à l’état fragmentaire, ils n’y sont que très fréquents. Mais ce n’est pas là une objection sérieuse contre la vérité des schemes formés de la sorte, ni contre la réalité de leur objet. Vérité abstraite, réalité profonde qui consiste dans une tendance plus ou moins manifeste, plus ou moins énergique, de la race ou de la variété en question livrée à elle-même, si nul croisement ne l’entrave, à propager de préférence par hérédité le groupe total de caractères qu’on dit lui être propre, à le rendre de plus en plus fréquent et enfin exclusif de tout autre, comme si elle ne trouvait que là son équilibre stable, stable momentanément.

C’est dans un sens tout différent qu’on dit le type du pêcheur, du chasseur, du paysan, du marin, du soldat, du juriste, du poète. Cette nouvelle acception du même terme est pour ainsi dire transversale, perpendiculaire à la première. De même que, en voyageant, on reconnaît un anglais, un arabe, un chinois, comme tel, à quelque profession ou à quelque race qu’il appartienne, de même, d’un bout de l’Europe ou du monde à l’autre, ne reconnaît-on pas un paysan, un militaire, un prêtre, comme tel, quelle que soit sa race et sa nationalité ? Cette impression, en général, est confuse et on ne l’analyse pas ; mais l’exemple de Lombroso et de ses collègues, qu’il reste à suivre, montre qu’elle est susceptible d’un degré inattendu de précision anatomique, physiologique. Et il ne faut pas qu’on se méprenne sur la portée de ma pensée, sur la profondeur des similitudes qui constituent, je crois, les types professionnels ou sociaux reconnaissables, à peu près les mêmes, à travers les races souvent les plus différentes. Je ne me borne pas à dire qu’il y a des habitudes musculaires ou nerveuses identiques, nées (par imitation) de la routine d’un même métier, et capitalisées, pour ainsi parler, en traits physiques acquis, surajoutés aux traits physiques innés. Je suis persuadé, en outre, que certains caractères anatomiques apportés en naissant, d’ordre exclusivement vital et nullement social dans leurs causes, formés par génération seulement et où l’imitation n’entre pour rien, font partie aussi du signalement moyen propre à chaque grande profession, sinon à chaque grande classe sociale. Ce n’est pas sans raison qu’on dit d’un homme : il a le physique de son emploi, il a la figure d’un militaire, d’un magistrat, d’un membre du clergé. Voilà pour le visage ; mais pourquoi n’en serait-il pas de même du corps ? Si l’on essayait sur des centaines ou des milliers de juges, d’avocats, de laboureurs, de musiciens, pris au hasard et en divers pays, une série de mesures et d’expériences crâniométriques, algométriques, sphygmographiques, graphologiques, photographiques, etc., analogues à celles de Lombroso sur des centaines ou des