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G. TARDE. — le type criminel

à contre-balancer toutes les analogies qui précèdent. Mais, de plus, elle est attachée à sa tradition familiale, à sa religion et à ses coutumes nationales, respectueuse de l’opinion. En cela aussi, elle s’écarte profondément du criminel, malgré quelques superstitions parfois survivantes chez celui-ci ; et en cela, au contraire, elle se rapproche du sauvage, du bon sauvage auquel en effet elle ressemble bien plus que ne lui ressemble le criminel. Nous ne devons pas en être surpris, ayant appris des naturalistes à quel point le moule antique de la race est toujours fidèlement gardé par le sexe féminin, et sachant d’ailleurs que la civilisation est chose essentiellement masculine par ses causes et ses résultats. Par ses causes, puisque les inventions dont elle se compose ont à peu près toutes pour auteurs des hommes ; par ses résultats, puisqu’elle a visiblement pour effet d’accroître, au profit de l’homme, la distance des deux sexes. Si donc nous voulons nous faire une idée de nos premiers pères, c’est la femme et non le meurtrier ou le voleur d’habitude, qu’il nous faut regarder. En elle, comme en un miroir vague et embellissant, mais pas trop infidèle peut-être, nous retrouvons l’image passionnée et vive, inquiétante et gracieuse, dangereuse et naïve, de la primitive humanité. Mais précisément, ce qui fait son charme et même son innocence, ce qu’elle a de meilleur, moralement, n’est-ce pas ce goût de sauvageon qui persiste en elle en dépit de toute culture, après tous les brevets de capacité simple ou supérieure ? Ne nous pressons donc pas trop de décider, sans plus ample examen, que nos crimes nous viennent de nos aïeux et que nos vertus seules nous appartiennent.

Mes critiques ne portent, on le voit, que sur l’interprétation donnée par Lombroso aux caractères physiques ou autres si fréquemment présentés par les malfaiteurs. Mais elles n’entament en rien la réalité du type criminel. Seulement il nous reste à expliquer à notre tour ce que nous entendons par là. Tâchons donc de classer ce type parmi les autres entités de même nom qu’élabore ou collectionne l’anthropologiste, cet ontologiste sans le savoir. On peut, ce me semble, distinguer deux sens du mot type. Comme exemple du premier on peut citer l’Homme américain de d’Orbigny, de même que, comme exemple du second, l’Uomo delinquente. Dans le premier, on entend par là l’ensemble des caractères qui distinguent chaque race humaine ou chaque variété et sous-variété nationale d’une même race ; on dit ainsi le type anglais ou allemand, le type espagnol, italien ou français, le type juif ou arabe. Est-ce à dire que ces divers traits distinctifs se rencontrent toujours chez les nationaux des divers peuples dont il s’agit ? Non ; rassemblés