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G. TARDE. — le type criminel

Je ne dirai rien non plus des observations graphologiques faites sur l’écriture des délinquants ; les assassins, paraît-il, se signaleraient, — comme en général du reste, toutes les personnes énergiques — par le prolongement net et accentué de la barre du t, par l’air d’élancement libre et facile de toutes leurs lettres, ainsi que par les complications hiéroglyphiques de leur signature ; les voleurs se reconnaîtraient au caractère mou, effacé, un peu féminin de leur façon d’écrire.

V

En résumé, malgré des ressemblances anatomiques et physiologiques, mais non sociologiques, incontestables avec le sauvage préhistorique ou actuel, le criminel-né n’est pas un sauvage, pas plus qu’il n’est un fou. Il est un monstre, et comme bien des monstres, il présente des traits de régression au passé de la race ou de l’espèce, mais il les combine différemment, et il faudrait se garder de juger nos ancêtres d’après cet échantillon. Que nos ancêtres à nous-mêmes, peuples civilisés, aient dû être primitivement de vrais sauvages, je ne le conteste pas, quoique les plus anciens documents nous les montrent à l’état de simple barbarie avec les mêmes formes corporelles que nous, plus belles seulement ; mais il y a de bons sauvages — Wallace, Darwin, Spencer, Quatrefages nous les ont fait aimer — et, quand même, parmi les sauvages actuels, les bons représenteraient une infime minorité, ce qui n’est pas, il ne nous serait pas moins permis de conjecturer avec vraisemblance que nos premiers pères étaient du petit nombre de ceux-ci. On sera porté à le penser, c’est-à-dire à supposer que nous ne naissons pas en moyenne avec des aptitudes bien plus morales que celles de nos aïeux, si l’on observe que le progrès moral des sociétés en train de se civiliser est beaucoup plus lent et plus douteux que leur progrès intellectuel, et, quand il est réel, consiste plutôt en une transformation socialement avantageuse de l’immoralité qu’en une véritable moralisation individuelle. D’ailleurs, à mesure que les effets vraiment moralisateurs de la socialisation croissante commencent à pénétrer jusque dans le sang des nations ou des classes les plus civilisées, c’est-à-dire depuis longtemps régnantes, ces nations ou ces classes ne tardent pas à être recouvertes et résorbées par la fécondité toujours supérieure des classes, sinon des nations inférieures. Tels sont les effets moraux de la sélection naturelle appliquée à nos sociétés. L’amélioration morale n’a donc guère le temps.