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G. TARDE. — le type criminel

siècle au fur et à mesure des progrès de l’instruction, de la vie urbaine, de la civilisation particulière dont nous jouissons. Il en est de même du crime, d’ailleurs, — je parle du crime habituel, de la récidive — dont la progression affecte une régularité non moins effrayante. Si l’on s’en rapporte donc à la statistique et si par criminel-né on entend le récidiviste quelconque, l’assimilation du crime à la folie deviendrait possible à cet égard, sinon plausible. Mais alors il ne faudrait pas dire que l’hypothèse du criminel-né implique la constance à peu près uniforme du chiffre de méfaits qui lui sont imputables et se féliciter, à l’appui de cette hypothèse, d’avoir découvert, en décomposant les nombres annuels et toujours croissants fournis par les récidives, que le nombre des meurtres et des assassinats reste à peu près stationnaire. Par là, il est vrai, les voleurs, dont le chiffre augmente sans cesse, se trouvent exclus de la catégorie des délinquants de naissance. En un endroit même, poussé par le désir de voir confirmer statistiquement l’existence de ces derniers, le savant criminaliste commet la grosse erreur d’affirmer incidemment (p. 594) « le retour constant et périodique d’un nombre donné de délits » en général. Or, de deux choses l’une. Si cette constance numérique est ou était réelle, ce serait bien une confirmation statistique, peut-être, de la réalité du type criminel, tel que Lombroso l’entend ; mais en même temps ce serait un démenti donné par la statistique à l’identification du fou avec le criminel de naissance ; si, à l’inverse, la criminalité d’habitude, d’habitude enracinée, se traduit par des chiffres variables, le récidiviste peut bien être identifié au fou, mais c’est une preuve que le récidiviste n’est point, ou n’est point toujours, un criminel de naissance.

M. Lacassagne confesse, tout en professant les idées de Lombroso, que les criminels fous constituent une faible exception, même parmi les récidivistes. Mais il identifie, lui aussi, la folie criminelle et le type criminel. Or, cette confusion me semble gratuite. Le type criminel est congénital ; la folie criminelle peut apparaître, comme toute autre, chez un homme porteur du facies le plus honnête et le plus normal, et on n’a jamais prouvé qu’elle se produisît toujours chez les individus criminellement conformés. Au contraire, entre les criminels-nés et les fous, on signale souvent des différences fort nettes de conformation. — Lombroso, sentant bien ces difficultés, appelle les criminels-nés des demi-fous, des quasi-fous (mattoïdi). Mais la demi-folie c’est comme le demi-délit ou la demi-laideur : le monde en est plein, la majorité en est faite. C’est la folie complète qui est l’exception, comme la raison complète, qui lui fait pendant (et qui