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ment de l’École de Droit, à l’usage des jeunes gens qui se destinent à la justice pénale, et pour qui c’est un si mince bagage, comme le remarque si justement Ferri, d’avoir approfondi le Digeste, voire même le Code Civil. La fréquentation obligatoire des prisons pendant six mois leur vaudrait 10 ans d’exercice. J’estime, avec cet éminent écrivain, qu’une ligne de démarcation presque infranchissable devrait séparer, par suite, les deux magistratures, celle qui se nourrit de crimes et celle qui vit de procès.

Toutefois, remarquons-le, si l’on met en parallèle les apports vraiment féconds, soit pratiques, soit théoriques même, dont le criminaliste actuel est redevable à l’anthropologie, avec les enseignements de tout genre que lui fournit la statistique philosophiquement interprétée, on devra avouer que, de ces deux sources où, comme le dit encore avec raison Ferri, l’école nouvelle a largement puisé pour revivifier le Droit Pénal, la seconde est de beaucoup la plus abondante et la plus claire. On ne manquera pas de s’en apercevoir si l’on compare les Nuovi Orizzonti du statisticien que nous venons de citer, avec l’Uomo delinquente[1].

III

III. Arrivons aux caractères psychologiques. La faible aptitude à souffrir physiquement que révèle le criminel, explication peut-être de son aptitude plus faible encore à compâtir et à aimer, et seul fondement de son courage quand par hasard il est courageux, ne tient-elle pas en partie à ce qu’il se recrute d’ordinaire dans les classes illettrées, où la même impassibilité se remarque, à un degré moindre il est vrai, comme les chirurgiens le savent bien ? C’est probable. Il n’est pas douteux, en effet, que la culture de l’esprit poussée à un certain degré ait pour effet direct d’étendre et de creuser le champ des impressionnabilités douloureuses et sympathiques, donc des généreuses affections. Et par là, elle est certainement moralisatrice, puisque, après tout, à la base de l’idée morale, l’argument, le plus solide et le plus convaincant, — avouons-le, ô philosophes ! — c’est la pitié, c’est la bonté, c’est l’amour. Si donc elle semble au contraire, d’après les inductions tirées de la statistique criminelle, s’accompa-

  1. Ce n’est pas que Ferri ne s’occupe aussi d’anthropologie. Son livre sur l’Omicidio, impatiemment attendu, complétera à cet égard celui de Lombroso. Voir, en attendant, ses Nuovi Orizzonti del diritto et della procedura penale, seconda edizione con tavola grafica (Bologna, Nicolò Zanichelli, 1884). Nous avons le plaisir d’apprendre qu’une traduction française de cet ouvrage, sous le titre de Sociologie criminelle, est en voie de préparation.