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G. TARDE. — le type criminel

des résultats que nous venons d’esquisser. Étant donné un homme qui présente au physique le type criminel bien caractérisé, dirons-nous que cela suffit pour être en droit de lui imputer un crime commis dans son voisinage ? Aucun anthropologiste sérieux ne s’est permis une telle plaisanterie. Mais, d’après Garofalo, si l’on constate ces anomalies typiques sur un individu qui vient de commettre son premier crime, on peut, avant même qu’il ait récidivé, assurer qu’il est incorrigible et le traiter en conséquence. Peut-être est-ce aller encore bien loin. Il me semble qu’entre cette opinion et le scepticisme exagéré de Rudinger[1], il y aurait un milieu à garder et qu’à titre d’indices sérieux, mais d’indices seulement, comme dit Bonvecchiato, ces traits accusateurs doivent être pris en considération. Ferri nous assure que, sur plusieurs centaines de soldats examinés par lui, il fut frappé d’en remarquer un, un seul, que son physique stigmatisait homicide ; et on lui apprit que ce malheureux avait été, en effet, condamné pour meurtre. Sur huit cent dix-huit hommes non condamnés, Lombroso n’a observé qu’une ou deux fois le type criminel complet, et quinze ou seize fois le type à peu près complet. Pour les condamnés, la proportion est une dizaine de fois plus forte. Combien de magistrats instructeurs ne croient pas perdre leur temps en recherchant péniblement des présomptions moindres ! Quand je songe qu’en est si souvent obligé de s’en rapporter à des renseignements, à des certificats fournis par un maire et dictés par la camaraderie ou l’intérêt électoral ! Sous l’ancien régime, d’après Loiseleur[2], les commentateurs des lois criminelles, Jousse et Vouglans, comptaient au nombre des graves motifs de suspicion la mauvaise physionomie de l’inculpé. En fait, même de nos jours, il n’en faut pas plus, dans certains cas difficiles, pour décider un juge hésitant entre deux individus à poursuivre. Le mérite de l’anthropologie est d’avoir cherché à préciser les causes de cette impression que tout le monde ressent plus ou moins à la vue de certains visages, et à éclairer ce diagnostic. Néanmoins, ici comme en médecine, les meilleures descriptions ne sauraient suppléer au contact fréquent et multiple des malades, je veux dire des malfaiteurs. Le besoin d’une clinique criminelle se fait sentir, comme complé-

  1. « Rüdinger, dans un travail très sérieux et très consciencieux sur les caractères physiques des délinquants, confesse que l’anthropologie criminelle se présente avec un appareil imposant de faits, mais que ses déductions ne sont pas encore applicables aux recherches pénales. » Bonvecchiato, Sulla terza edizione dell Uomo delinquente del Prof. Lombroso, p. 23. Estratto dal fascicolo VI del giornale Rivista Veneta di Scienze Mediche.
  2. Les crimes et les peines, par Jules Loiseleur. (Hachette, 1863.)