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une grande inconnue encore à dégager. Avis peut-être aux idéalistes de l’avenir, qui, probablement d’ailleurs, ne ressembleront guère à ceux du passé [1].

II. Nous pouvons être bref sur les caractères pathologiques et physiologiques. Dire, avec notre auteur, que le criminel est un demi-fou (mattoïdo), c’est dire qu’il est malade. Il est très sujet aux maladies du cœur notamment, et à diverses affections de la vue, telles que le daltonisme et le strabisme[2]. Mais, comme, avec cela, sa longévité, que son insensibilité explique peut-être, est des plus remarquables, il n’y a pas à s’apitoyer longtemps sur ses infirmités. Déjà même ceci nous avertit d’y regarder à deux fois avant de le considérer comme un malade, et par conséquent comme un fou. Folie et longévité s’excluent.

On nous assure que le criminel a en général une voix de ténor ou de soprano, soit. — J’ai déjà dit qu’il est trois ou quatre fois plus souvent ambidextre que l’honnête homme. Par ce trait, et par son agilité souvent prodigieuse, il est simien. Il est bestial encore par son insensibilité relative à la douleur et au froid, mesurée à l’aide d’instruments spéciaux. Il rougit difficilement. Mais ici nous touchons aux caractères psychologiques, auxquels nous avons hâte d’arriver.

Avant d’aller plus loin, cependant, demandons-nous quels services pratiques peut rendre déjà à la justice criminelle la connaissance

  1. Voici comment M. Lacassagne résume le type du criminel d’après Lombroso, et d’après lui-même. « Les caractères anthropologiques les plus importants et vraiment distinctifs seraient : le prognathisme, des cheveux abondants et crépus, la barbe rare, la peau souvent brune et bistrée, l’oxycéphalie (la tête pointue), l’obliquité des yeux, la petitesse du crâne, le développement des mâchoires et des os malaires, le front fuyant, les oreilles volumineuses et en anse, l’analogie entre les deux sexes, la faiblesse musculaire. Ce sont là autant de signes qui, ajoutés aux résultats des autopsies, rapprochent le criminel Européen de l’homme préhistorique ou du Mongol. » (Revue scientif. 1881, tome I, p. 683). Il y aurait à distinguer les sous-types de l’assassin, du voleur, et du Stuprator. »
  2. La fréquence de ces anomalies de la vue a d’autant plus d’importance, comme le remarque Lombroso, que la part du cerveau dans le phénomène de la vision apparaît chaque jour plus grande, et que, « d’après les recherches de Schmutz, 50 0/0 des gens atteints de ces affections, présentent de graves perturbations du système nerveux, telles que l’épilepsie et la chorée. » Il est surprenant toutefois, que la vue des criminels soit remarquablement perçante. En ceci, ils tiennent du sauvage, comme en cela du fou. Ajoutons qu’ils ont fréquemment des tics nerveux. On remarquera que Lombroso, qui a étudié si minutieusement la vue et le toucher de ces malheureux, ne nous dit rien des particularités de leur ouïe. Il serait intéressant de savoir si ces daltoniens ont l’oreille juste et fine.